« C’est à Amrain, le village de Baur, que les deux amis flânent en conversant, à l’époque du carnaval, dans le violet des confettis, les méandres des serpentins et, inaudible peut-être, le bruit des grelots des enfants costumés. Moment paradoxal où souffle le vent d’est et où le quotidien se métamorphose: les villageois lèvent pour quelques jours leurs masques, montrant leur vrai visage. Tout devient signe et prend momentanément sens.
Baur raconte la commémoration du quarantième anniversaire de la mobilisation de sa compagnie dans un registre aigre-doux. Bindschädler réagit en évoquant non seulement le Borodino de Napoléon, mais celui de l’épopée narrée par Tolstoï dans Guerre et Paix et transposée dans les Symphonies de Chostakovitch. Borodino, non loin de Moscou, fut le lieu d’une bataille ambiguë qui ouvrit à l’empereur français les portes de Moscou et scella en même temps la débâcle progressive des toupes et de ses conquêtes.
D’où la présence centrale de cette victoire aux allures de défaite comme sujet de réflexion des deux amis sur l’histoire et les épopées; sur le présent, lieu de déception et de vide; sur l’avenir qui s’annonce comme l’apocalypse: les bouquets de l’été comme les chanterelles ou les têtards sont en voie de disparition. Mais aussi de ce nom aux résonances magiques comme métaphores des espaces intérieurs de l’homme non soumis au temps: »Chaque homme est le souverain d’un royaume à côté duquel l’empire du tsar n’est qu’un petit tas de terre que la glace a épargné. » »
Doris Jakubec