« Le premier roman d’Emmanuelle Tornero, Une femme entre dans le champ, raconte la découverte de la maternité d’une jeune mère qui décide de partir à pied sur les routes avec son bébé. Il étonne à la fois par son sens de la composition, très ouvert, par la vision de la maternité qu’il propose, et par la très grande beauté de son écriture. (…)
C’est un monde fait d’attention fusionnelle à des détails qui clochent, à la stridence des voix. Il s’accommode particulièrement bien d’une écriture par morceaux, travaillée par les ellipses. C’est aussi un monde fait d’évitements. (…) Tout se passe comme si la protagoniste, ayant donné naissance, ne pouvait faire autre chose que de tenter de rejoindre indéfiniment un état de nature, une loi cachée, un royaume inquiétant (natura, en latin, désigne à la fois la nature et la naissance). Ou tout se passe comme si L. revenait elle-même à des sensualités de petite enfance, à l’enfance comme flux, fugue sans raison, sans mot, musicale et immense. (…)
Le cadre du fait divers est constamment débordé. La fugue de L. avec son bébé donne lieu à des pages d’autant plus réussies qu’on y sent un vrai bonheur d’écriture qui allège tout. L’errance le long des routes est aussi l’occasion d’arpenter le monde et d’en faire l’inventaire. La variabilité des formats (quelques pages ou quelques lignes) que permet une écriture centrée sur des moments est alors très heureuse. Ainsi, les pages qui décrivent les cris des familles, un dimanche dans la zone de baignade d’un lac, sont remarquables : elles sont écrites en vers libres, disposés sur deux colonnes par page, mais de façon si fluide, si attachée aux menus faits du quotidien, qu’on oublie de théoriser ; on lit et on ne s’aperçoit qu’après coup qu’on est passé au poème. De même, le passage (en prose) qui décrit, comme en passant, l’apparition d’une première dent est saisissant : il n’a rien de la condescendance attendrie qu’on manifeste en général à l’égard des enfants et tout, cependant, de l’étonnement, du ravissement – au sens fort – devant cette poussée anonyme du temps et des corps. (…)
Il y a d’autres citations, d’autres hommages plus ou moins cachés qu’on n’est pas obligé de voir mais qui contribuent au sentiment d’avoir affaire à une écriture à la fois très claire, très libre et très mûrie. C’est un premier roman et c’est une réussite. »
Un article de Claire Paulian à lire ici