Classiques du monde
Parution Fév 2008
ISBN 978-2-88182-606-1
368 pages
Format: 140 x 210 mm
Disponible

Traduit de l'italien par Yves Branca

Classiques du monde
Disponible

Traduit de l'italien par Yves Branca

Ippolito Nievo

Un ange de bonté

Classiques du monde
Parution Fév 2008
ISBN 978-2-88182-606-1
368 pages
Format: 140 x 210 mm

Traduit de l'italien par Yves Branca

Classiques du monde

Traduit de l'italien par Yves Branca

Résumé

Venise la Sérénissime, Venise la luxueuse, la décadente, la joyeuse ou la conspiratrice!
Tandis qu’un complot politique risque de faire sombrer la République, que les fêtes battent leur plein, que les couvents s’agitent, que des pots de fleurs tombent mystérieusement des balcons, que le soir venu, à l’heure où se volent les baisers, les rumeurs les plus folles s’échappent des gondoles et glissent au fil de l’eau pour se répandre dans la ville, la vertu d’une jeune fille, Morosina, va déjouer des conspirations et ramener dans le droit chemin le grand Inquisiteur, Formiani.
Dans ce roman historique et moral, Ippolito Nievo met en scène la décadence de Venise, entre 1749 et 1768, «  minée dans son fondement », déchirée par une opposition souterraine antre la cité et ses possessions de terre ferme, et qui tombera finalement sous le coup fatal que lui portera Napoléon.

Auteur

Ippolito Nievo

 

Ippolito Nievo (1831-1861) est peu connu en France. C’est pourtant, avec Manzoni, l’un des deux grands romanciers de la seconde moitié du XIXe siècle. Son premier roman, Ange de bonté, paraît en 1856 ; il est aujourd’hui considéré comme l’esquisse et l’œuvre préparatoire de son grand roman Les Confessions d’un Italien. En 1859, Ippolito Nievo s’engage auprès de Garibaldi dans la seconde guerre d’indépendance italienne, puis dans les volontaires garibaldiens débarquant en Sicile en 1860. Nommé colonel, il meurt dans le naufrage du bateau Ercole entre Palerme et Naples l’année suivante.

Extrait

 

LE PARLOIR DES SERAPHINES

Le premier dimanche du mois de mai 1749, grand concours de gondoles au quai de San Pieretto ; à la tombée de la nuit, le canal en resta tout resserré, et c’était un remuement de rames, un entre-heurt de proues, des appels d’un bord à l’autre, un tumulte, en un mot, comme n’en savent faire que les bateliers de Venise.

Ce jour-là tombait une fête qui était très solennelle au couvent des mères séraphines, et comme celles-ci dirigeaient l’une des meilleures institutions patriciennes d’éducation des filles, il s’ensuivait qu’une noble parentèle se pressait dans les parloirs, et parmi les parents, les tuteurs et les amis, bien des curieux s’introduisaient à leurs propres fins ; ce dont les révérendes mères ne se troublaient point, se réjouissant plutôt d’une pompe innocente qui leur semblait fort propre à accroître la gloire de sainte Thérèse, leur protectrice.

D’autre part, n’étant liées ni par des vœux ni par une clôture, elles répugnaient beaucoup moins que tout autre ordre à l’éclat du monde, et elles étaient instruites des désordres vénitiens autant qu’il le fallait pour faire figure dans la conversation des dames et des cavaliers.

La portière avait donc renoncé pour ce soir-là à son fidèle entrebâillement, et la porte ouverte à deux battants invitait largement les passants. L’entrée, belle en soi de toute la décence monacale, était entièrement revêtue de damas et de fleurs ; les flambeaux qui y brûlaient sur des candélabres d’argent, les bouquets de roses, de géraniums et de violettes, et une dernière lueur du couchant nuancée par le violet des rideaux composaient l’atmosphère très singulière par ses teintes et ses parfums, qui est si chère et si familière aux âmes dévotes. Cette entrée, par une magie si religieuse, sentait encore le couvent ; mais l’aspect du parloir était plus admirable encore, où la sainteté claustrale et le lustre profane s’ajustaient pour faire croire à un petit coin terrestre de paradis. On voyait dans le milieu, placées en cercles, parées d’atours variés et splendides, de nobles dames et matrones, et là, parmi cette splendeur de pierreries, l’habit brun de quelque nonnette, mais tissé d’un drap des plus fins, et dont la coupe avantageait d’exquise manière la grâce du corps ; et plus loin, d’élégants cavaliers, parfumés, poudrés, en cape et épée, comme on disait alors, une innocente durendal1 leur pendant derrière eux en travers des jambes, le court manteau blanc sur le bras, le petit éventail à la main, se pavanaient dans la nuée gracieuse des jeunes filles ; et là, ils riaient ensemble, à l’ombre des chapeaux et des éventails, et l’on échangeait des traits d’esprit et des regards et des sourires, et le tout sans péril, puisque par derrière sommeillaient les paupières d’une vénérable professe. Tout autour, sur des fauteuils de maroquin noir adossés aux murs, étaient assis mamans, papas, oncles, et cousins ; et auprès d’eux, des fillettes bien vertes encore, mais vives et babillardes, frêles enfants telles que de petites plantes poussées à l’ombre, mais pleines au fond des yeux de verve et de malice, jouvencelles aux timides regards, mais au petit rire furtif et plein d’astuce.

Et parmi tout ce monde glissaient, gazouillaient, prêtaient l’oreille, souriaient, entretenaient les chandelles, offraient rafraîchissements et mille-feuilles huit ou neuf sœurs d’aspect et d’âge divers, mais qui toutes portaient sur le visage la liesse de ce jour de fête et la joie des longues solennités claustrales. « Allons, marquise, une petite goutte de ce rossolis ! C’est un baume, voyez-vous, à notre âge !

‒ Excellence Carletto, vous faites tort à cette confiture ? Eh, mais ! pensez que c’est moi qui l’ai préparée !

‒ Comment ? Don Zefirino ne viendra pas aujourd’hui ? Et nous qui lui avions battu un lait d’amande aux œufs !

‒ Hi, comtesse, voyez, là, ce jeune cavalier, comme il n’a d’yeux que pour votre fille ! Eh ! Peut-être que… Dame ! Écoutez, vous dis-je ! Il n’est pas si facile, ce cavalier !

‒ Et, à propos, comment s’est donc passée la cérémonie pour l’Abandonnée ? Plus mal que bien, cela s’entend ! La pauvre fille, elle devait finir ainsi, avec le peu de gouverne qu’elles ont ! »

Tels étaient les propos des bonnes mères, et la salle se remplissait toujours davantage, ce qui ne diminuait en rien leur sereine gaîté et leur bon accueil. Le parloir était comble, et il ne restait plus un siège de libre, lorsque parut sur le seuil un personnage de vieillard des plus singuliers. Il était plutôt petit et bien en chair, mais l’émérite justaucorps de cérémonie qu’il portait paraissait taillé pour un géant, si bien qu’il en sortait à peine, par-dessous, comme de la carapace d’une tortue, deux petits pieds ronds, couverts entièrement par les énormes boucles d’argent. Le chapeau à trois cornes, bien serré sous l’aisselle, lui couvrait d’un côté la poitrine ; de l’autre, il saillait de trois paumes hors de son flanc, comme une voile de bonnette. Mais tout ceci tenait encore de la comédie sérieuse en comparaison de sa tête, qui lui semblait clouée entre les épaules à coups de marteau, et une très indiscrète perruque à ailes de pigeon l’encadrait pittoresquement en finissant sur ses épaules par un rouleau si gros qu’un poing eût difficilement pu le tenir.