Tout le reste devient secondaire. Iris chuchote dans le silence.
Seul le bruit des glaçons accompagne son récit.
C’est à ça qu’on reconnaît le coeur d’une chose,
poursuit Iris.
Et je suis sûre que pour Ada aussi tout passa instantanément au second plan : la soirée donnée par Babbage, les messieurs de la Royal Society, les murmures dans la salle richement ornée, la chaleur de la capitale, de même que les manèges ou les marchands affairés qu’elle avait vus cet après-midi-là au bord de la Tamise ; tous les forains qui, sous des tentes de toile ou sur de petites estrades, présentaient des expériences terrifiantes et des découvertes exotiques, non, Ada le sut aussitôt, ce qu’elle venait de découvrir était mille fois mieux, mille fois plus intéressant que la pieuvre pâle dans son réservoir d’eau salée, les crocodiles à la gueule ligotée, les serpents venimeux dans des paniers en raphia, les joueurs de cartes, les cracheurs de feu, les têtes informes et chauves des haltérophiles, les femmes à barbe ou ce jeune bossu qui, main dans la main avec un singe tête de mort, déambulait dans le public pour récolter des pièces.
Le regard d’Iris glisse lentement sur la table dressée devant elle.
La nappe blanchie, le vase avec les pivoines, les plats vides, quatre assiettes, deux bougies – un monde feutré, crépusculaire, la lueur des flammes lèche le visage des auditeurs. Wollstone et Godwin attendent de connaître la suite. Leurs joues rougeoient, leurs lèvres sont à l’affût d’une question.
Seul Éric est assis là les bras croisés.
Iris prend une inspiration. Son excitation est audible.
Elle est dans son élément.