Classiques du monde
Parution Nov 2018
ISBN 978-2-88927-613-4
176 pages
Format: 140x210 mm
Disponible

Traduction de Marcel Barang

Classiques du monde
Disponible

Traduction de Marcel Barang

Sîbourapâ

Sur le Mont Mitaké

Classiques du monde
Parution Nov 2018
ISBN 978-2-88927-613-4
176 pages
Format: 140x210 mm

Traduction de Marcel Barang

Résumé

Lorsque Nopporn suspend une aquarelle du Mont Mitaké dans son bureau, sa femme s’en étonne : elle est de facture si ordinaire. Pourtant il y tient ; elle lui rappelle ses années d’études au Japon et ce jour où un haut dignitaire du Siam est arrivé à Tokyo avec sa jeune épouse, la princesse Kîrati. Nopporn doit veiller à ce qu’elle ne s’ennuie pas. Bien que de quinze ans son aînée, elle le fascine par sa beauté, sa grâce et sa maturité résignée. Nourri d’honnêtes intentions, il ne voit pas monter en lui les sentiments et le désir. La princesse le met en garde, sans l’éloigner pour autant. Commence alors un jeu subtil, mais cruel. Lequel des deux en souffrira le plus ?
Histoire d’un amour impossible, Sur le Mont Mitaké, traduit en anglais, adapté deux fois au cinéma (1985 Piak Poster, 2001 Cherd Songsri), mais jamais en français, est un des grands classiques de la littérature thaïe. Écrit en 1937, il mêle avec maestria éléments romantiques et réalistes.

Auteur

Sîbourapâ

Sîbourapâ, nom de plume de Kulap Saipradit (1905 – 1974), fut un intellectuel et romancier thaïlandais très engagé dans la lutte pour la justice sociale et contre la censure. Ses actions et ses écrits lui valurent plusieurs années de prison et l’exil. Avec sa femme, il traduisit en thaï de nombreux auteurs étrangers comme Jane Austen, Tchekhov, Gorki. Sur le Mont Mitaké (titre original Derrière le tableau, « Khang Lang Phap ») reste son chef-d’œuvre, toujours étudié en Thaïlande et considéré aujourd’hui comme un des vingt plus grands romans de la littérature thaïe. C’est sa première traduction en français.

 

Dans les médias

«  Si l’on ne garde pas constamment à l’esprit que Sur le mont Mitaké, court roman de Sîbourapâ, a été écrit en 1937, on risquera de le considérer comme une bluette sentimentale un peu languissante, élégamment mélancolique, sans verdeur (le sexe y est plus décent que dans Paul et Virginie) ni vigueur. Mais ce serait passer à côté du charme subtil et de la violence réelle d’une histoire sombrement féministe qui fait penser à certains des films les plus originaux de Mizoguchi, par exemple Le destin de madame Yuki.

(…)

Belle leçon d’égoïsme sinistre, de machisme sans rémission. C’est à force de simplicité, de refus de l’esbroufe, à cause d’un sens aigu de l’ « understatement » littéraire, que ce livre s’impose : violence intolérable en profondeur, économie extrême des moyens, refus délibéré de l’effet, pas de saturation du visible, pas de coups de cymbales. Quand, à la fin du Destin de madame Yuki, il s’agit de suggérer que cette femme abandonnée de tous s’est jetée dans le lac Biwa, un panoramique tournant la montre d’abord au milieu d’un groupe, puis se déplace lentement le long de la rive du lac. Au terme de la giration, la caméra retrouve le groupe mais madame Yuki s’en est absentée, sa place est occupée par un vide. L’extinction de l’épate, juste là où le cinéma, mécanique du mouvement, s’arrête, où commence l’art : du Mizoguchi, vous dis-je !  »

 

Lire l'article de Maurice Mourier en entier ici

« Cette histoire d’amour interroge les codes et usages, leur rigueur alliée à l’inexorabilité du temps. Après une entame assez convenue, l’intrigue se tisse délicate et implacable – à la première personne. Que s’est-il passé sur le mont Mitaké pour que la princesse Kîrati offre à Nopporn une aquarelle, toute simple, du lieu ? Goûts de souvenirs. » VG

Coups de cœur

«  Un grand classique de la littérature thaïe pour la première fois traduit en français. Elégant, raffiné, un vrai bijou ! » 

« L'élégance des propos échangés par les personnages n'a d'égal que la noblesse de leurs sentiments. Ce chef-d’œuvre de Sîbourapa détient les questions essentielles à l'amour et l'on subit de plein fouet le dénouement de son histoire. »

Extrait

1

Quand Lord Atikânboddî[1] emmena sa nouvelle épouse, la princesse Kîrati[2], en voyage de noces au Japon, j’étais étudiant à l’université Rikkyo et je venais d’avoir vingt-deux ans.

Je connaissais Son Excellence depuis l’enfance, lui et mon père étant amis, et il m’avait toujours traité avec bienveillance chaque fois que nous nous rencontrions. Je connaissais Khunying[3] Atikânboddî tout autant que son époux. Environ un an après que je fus allé étudier au Japon, j’eus la tristesse d’apprendre que Khunying Atikânboddî était morte de la grippe asiatique, après quoi, pendant deux ans, je n’eus plus de nouvelles de Son Excellence jusqu’à ce qu’il me contacte récemment.

Son Excellence m’écrivait qu’il allait se rendre au Japon avec sa nouvelle épouse, la princesse Kîrati, et il me demandait de l’aider à lui trouver un logement et à lui procurer toutes les facilités qu’escomptent les visiteurs étrangers. Il avait l’intention de séjourner à Tokyo deux mois.

Quand je dis qu’il emmenait sa nouvelle épouse au Japon pour leur lune de miel, ce sont là mes propres mots. Il disait dans sa lettre qu’il voulait changer d’environnement et qu’il voulait faire un long voyage pour se reposer et se détendre pendant un certain temps. La raison principale pour se rendre au Japon était d’offrir à sa nouvelle femme l’occasion de s’amuser. En ce qui concerne la princesse Kîrati, il écrivait : « Je l’aime et j’ai de la compassion pour elle. Elle ne connaît pas vraiment encore le monde extérieur, en dépit de son âge. Je souhaite la familiariser avec le monde extérieur, pas seulement dans notre pays, et je souhaite qu’elle soit heureuse et s’amuse et, à tout le moins, qu’elle ressente qu’être mariée à quelqu’un de mon âge n’est pas entièrement dépourvu de sens. Je crois, Nopporn, que tu aimeras Kîrati comme tu aimais feu ma chère épouse. Mais Kîrati est plutôt réservée avec ceux qu’elle ne connaît pas bien ; toutefois, elle est chaleureuse, n’en doute point. Étant donné tes qualités, je suis persuadé que tu lui plairas beaucoup. C’est ce que je lui ai dit, au demeurant. »

Je n’avais jamais rencontré la princesse Kîrati et le peu que Lord Atikânboddî écrivait sur elle dans sa lettre n’était pas très révélateur. Je supposai qu’elle devait avoir la quarantaine ou peut-être un peu moins, était probablement hautaine ou à tout le moins distante, conformément à son lignage royal, et certainement n’aimait pas les jeunes gens bruyants et agités, car ce n’était pas non plus dans ma nature. C’était probablement une personne plutôt discrète peu encline à s’amuser de la façon dont la plupart des gens le faisaient et probablement ancrée dans ses habitudes aussi, autant de choses qui invitaient à la prudence dans mes relations avec elle.

Son Excellence écrivait dans sa lettre qu’il n’avait aucune intention de vivre à l’hôtel, même dans un établissement aussi luxueux que The Imperial. Il en avait assez de fréquenter des étrangers dans ses moments de loisir et d’avoir à s’habiller formellement dès qu’il quittait sa suite ou prenait ses repas. Il voulait louer une maison dans laquelle il serait libre de vivre à sa guise sans regarder à la dépense.

De ce dernier point je ne doutais pas, car Son Excellence avait la réputation d’être parmi les plus fortunés du Siam, et il était aussi généreux qu’il avait du c?ur. J’obtins pour lui la location d’une maison dans le quartier d’Aoyama, une banlieue périphérique. Elle n’était pas loin de la gare, et se rendre en ville était commode à tous égards. La maison n’était pas très grande mais elle était une des mieux aménagées et des plus jolies du quartier. Vue de l’extérieur, elle était d’allure occidentale, mais à l’intérieur, la disposition, la décoration et l’ameublement des pièces étaient typiquement japonais. La maison se dressait sur un môle entouré d’un mur d’environ deux pieds et demi de haut constitué de grosses pierres. Le mur était coiffé d’un talus d’environ trois pieds de haut couvert d’herbe verdoyante et de rangées de petits buissons assez espacés. Dans l’enceinte de la demeure, il y avait un jardin, une étendue dense et verte de plantes petites et grandes, ainsi que deux grands arbres plantés devant la maison, dont les branches et l’épais feuillage couvraient presque toute l’enceinte, donnant à la maison un air d’autant plus frais et agréable à l’?il. Elle me plaisait beaucoup et, bien que le propriétaire en demandât deux cents yens par mois de location, je ne pensais pas que cela était cher pour une maison joliment aménagée qui exigerait d’être bien entretenue.

J’embauchai une belle jeune servante pour s’occuper de la maison à la japonaise. En choisissant une servante bien tournée, je n’entendais pas qu’elle aurait à complaire à Son Excellence autrement que par la pratique de ses fonctions normales. Je suis d’avis que, s’il est un choix entre une servante au visage d’ogresse et une à la mine vivace et avenante, on doit choisir cette dernière, car la compagnie de la vivacité et de la beauté, chez une personne comme dans un objet, contribue à vous égayer à proportion. J’avais parfaitement conscience que Lord Atikânboddî était en mesure de se montrer difficile. Je dus embaucher la servante à un tarif supérieur à la normale, non en raison de sa beauté mais parce que je devais trouver une jeune Japonaise qui parlât anglais suffisamment bien, faute de quoi Son Excellence et sa femme auraient tous deux à souffrir bien des désagréments.

Le premier jour où je rencontrai Lord Atikânboddî et son entourage à la gare centrale de Tokyo, j’allais expérimenter une stupéfaction absolue en faisant la connaissance de sa femme. Quand je vis pour la première fois les deux dames qui accompagnaient Son Excellence, je supposai, à en juger par la lettre qu’il m’avait envoyée, que celle qui avait l’air d’avoir trente-huit ans, était bien mise mais un peu démodée et tendue, devait être la princesse Kîrati. L’autre dame était tout le contraire : elle avait l’air jeune et resplendissant et était vêtue avec élégance. Même au premier coup d’?il, son maintien digne m’était apparent. Je n’avais aucune idée de qui elle était. La fille aînée de Son Excellence, qui s’était mariée plusieurs années auparavant, je l’avais déjà rencontrée à Bangkok.

En tout cas, mes spéculations ne durèrent pas plus d’une minute, parce qu’après que j’eus rejoint Son Excellence et que nous eûmes échangé quelques mots de retrouvailles, il se tourna vers la jeune femme, qui se tenait alors à côté de lui, et dit : « Voici ma femme, Khunying Kîrati ». Interloqué par ma stupide erreur, je faillis en oublier mes manières en la dévisageant pour dissiper mes doutes sur ce qui, dans son visage, pouvait rendre évident à quiconque qu’elle était la princesse Kîrati, la nouvelle femme de Lord Atikânboddî.

Elle sourit gentiment et gracieusement en réponse à ma révérence mains jointes. L’autre femme, entre-temps, avait reculé pour se tenir respectueusement à deux pas derrière Son Excellence. Quand je la regardai de nouveau, je me rappelai soudain que Son Excellence avait écrit dans sa lettre qu’il emmènerait aussi avec lui sa cuisinière de Bangkok. J’avais totalement oublié cela. Finalement, il n’y avait plus aucun doute dans mon esprit sur qui était qui, et pourtant je ne pouvais m’empêcher d’être surpris de m’être autant trompé sur l’âge et l’apparence de la princesse Kîrati.

Je portais ce jour-là mon uniforme d’étudiant universitaire, et ce fut la première chose me concernant pour laquelle la princesse Kîrati manifesta de l’intérêt. Elle dit qu’il était élégant et seyant et que ce qu’elle aimait le plus c’était sa couleur – bleu marine – qui se trouvait être aussi la couleur de ce qu’elle portait, un bleu sombre avec un motif floral blanc à la fois sur la jupe et sur le chemisier. La couleur n’était pas criarde et cependant donnait une impression de fierté subtile et de dignité.

Comme j’ordonnais au chauffeur de ralentir pour passer le portail de la maison, Lord Atikânboddî se pencha et, me donnant une tape sur l’épaule, me félicita d’avoir trouvé une résidence aussi plaisante. Il était vrai que, dans les voisinages que nous venions de traverser, il n’y avait pas de maison aussi attrayante que la nôtre. Vêtue d’un splendide kimono, la jeune servante attendait debout près du perron et elle s’inclina profondément du buste dès que la voiture passa le portail. Elle fit encore deux ou trois révérences en signe de profond respect, comme le veut la coutume japonaise, quand Son Excellence et son épouse sortirent du véhicule. Il lui adressa quelques remarques et quand elle répondit dans un anglais adéquat, il eut de nouveau l’air ravi. Finalement, après avoir passé en revue les pièces et les équipements ménagers, il exprima sa joie et me remercia profusément une nouvelle fois. Je dois admettre que j’étais des plus heureux d’avoir tout organisé à sa satisfaction sans anicroches. Cette réussite fit que Son Excellence par la suite me louangea auprès d’autres, disant que j’étais plus astucieux et minutieux que la plupart des jeunes gens.

L’eau chaude avait été préparée pour les ablutions et pas le moindre détail n’avait été omis. Ils étaient tous deux satisfaits depuis qu’ils avaient mis le pied dans la maison et il n’y eut pas le moindre incident. Dans la soirée, je les emmenai dîner chinois au Gajoen, qui est un des restaurants les plus luxueux et réputés de Tokyo. Le cadre autant que le menu ce soir-là firent remarquer à plusieurs reprises à Son Excellence qu’ils lui rappelaient le Hoy Tian Lao de Bangkok. Quand nous rentrâmes à la maison, leurs futons étaient prêts. Je repartis ce soir-là heureux que tout se soit bien passé, mieux en fait que je ne l’avais escompté.

 


[1] Doyen ou recteur d’université ; utilisé ici en lieu de nom de famille.

[2] Stricto sensu, Kîrati n’est pas princesse mais Mom Rajawongse ou MR, c’est-à-dire la petite-fille d’un prince et d’une épouse roturière, donc en partie de lignée royale. Pour la facilité de lecture, le traducteur en fait une princesse, comme il était d’usage jadis dans les documents en anglais.

[3] Titre nobiliaire, équivalent à Dame.

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