Louange à Dieu
Voici le Livre des cercles, autrement nommé Quand l’Histoire fait des siennes dans la cité martienne par référence à la Planète Victorieuse, nom sous lequel Mars était connue de certains astronomes arabes et d’où, dit-on, le Caire d’al-Mou‘izz tire son nom puisque ses remparts furent élevés par erreur pendant que Mars était à son ascendant.
On y trouve le récit des événements survenus dans la vie du journaliste Moustafa Nayef al-Shorbagi du 30 mars au 19 avril 2007, racontés jour après jour dans l’ordre où il les a consignés lui-même par écrit durant les semaines qui leur ont succédé, adressant son récit, à la manière des auteurs arabes anciens, à son ami psychiatre Rached Galal as-Souyouti habitant la capitale britannique depuis l’année 2001.
Outre les circonstances du divorce et du voyage d’al-Shorbagi, on y trouve le récit de sa transformation en zombie (suivant sa propre expression), autrement dit, un mort possédant certaines qualités des vivants, la plus importante d’entre elles en ce qui le concerne étant probablement l’aptitude à éprouver de l’affliction.
« Si vous trouvez dans ce livre un solécisme, des mots privés de désinence ou employés improprement, sachez que je les ai laissés tels quels car la flexion grammaticale ne s’accorde pas avec le sujet traité et le sort de son contexte. »
Jâhiz
Le Livre des cercles n’a que faire des solécismes et du style relâché. Mieux, il les met à l’honneur, tant par l’imitation qu’il fait du langage parlé sous ses multiples facettes que dans l’impartialité de son auteur et de ceux qui l’ont assisté vis-à-vis du dialecte qu’ils aiment pour la part de vie qu’il insuffle à la langue classique. De même, au lieu de les rejeter ou de s’inquiéter de leur présence, il accueille volontiers les mots issus des autres langues qui affluent en grand nombre vers la langue du dâd*, raison pour laquelle les mots d’origine dialectale et étrangère ne s’y distinguent pas des autres sur le plan typographique1.
Al-Shorbagi inclut dans son texte écrit en grande partie dans une langue mouvante et contrastée des citations attribuées à leurs auteurs ainsi que des dessins exécutés de sa main et une photographie unique datée de 1916 qui s’est révélée originaire du palais Dolmabahçe (Tolmâ Baghtjé selon la prononciation ottomane) sis dans le quartier Beçiktaç d’Istanbul.
Le texte se présente comme un récit rédigé en neuf parties correspondant à neuf trajets et à neuf événements. Il s’ensuit que chacune d’elles contient un trajet effectué par Moustafa dans les limites intérieures de la ville dont il rebaptise les quartiers et les districts, ainsi qu’il sera expliqué en détail dans la deuxième partie.
Chacun des neuf trajets recouvre l’un des événements de l’histoire et Moustafa finira par y voir à la longue une étude ou un article scientifique consacré à un thème particulier :
De Maadi à Doqqi (Sur le mariage). La séparation. 30 mars.
De Doqqi à al-Is‘âf (Sociologie). Le premier rêve et sa réalisation. 31 mars – 7 avril.
Sur la route du désert (Psychologie). La découverte de la bague. 7 – 8 avril.
D’al-Is‘âf vers l’Autre Monde (Paranormal). La rencontre avec le sultan. 9 avril.
La tournée des bibliothèques et d’Internet (Histoire). Découverte de l’Empire ottoman. 10 – 12 avril.
Le voyage au nord de Guizeh (Sur l’amitié). Le divorce et l’ébauche d’une vision globale de la situation. 13 – 14 avril.
Le voyage dans le Caire islamique (Sur l’amour). La rencontre avec la bien-aimée. 15 avril.
Le trajet Moqattam-Aéroport du Caire (Erotica). La découverte d’une preuve/Le voyage. 16 – 19 avril.
(Plus tard) Aéroport du Caire. Le voyage à Beyrouth. Après le 19 avril.
Puisque nous avons opté d’emblée pour la variété, le livre sera écrit dans la première, la deuxième, la quatrième, la cinquième et la septième parties de la main même de Moustafa puis, dans les troisième, sixième et huitième parties par un narrateur anonyme qui se désigne, comme ici, à la première personne du pluriel, faisant parfois allusion à « notre planète » comme expression d’une vision transcendante des événements. Quant à la neuvième partie, c’est une compilation faite de propos du narrateur et d’extraits des cahiers de Moustafa. Enfin, outre les index dressés par nous dans la partie « Annexes » pour éclairer certaines allusions contenues dans le texte et expliquer les mots et locutions dont le sens pourrait échapper au lecteur non-égyptien 1, une remarque s’impose sur le titre du livre.
Le toughrâ2 (le son gh3, soit dit en passant, ne se prononce pas dans le mot turc originel), écrit tuğra en turc moderne et prononcé autrefois turra en dialecte égyptien, est une composition calligraphique d’un genre particulier, bien connue en sa qualité de sceau des sultans de l’Empire ottoman au moyen duquel ces derniers marquaient de leur nom les décrets et firmans et dont ils frappaient la face des monnaies. On l’apposait à titre de signature officielle en haut (et non en bas) des parchemins ou des actes authentiques, y compris quand le document était rédigé en langue grecque.
Comme chacun sait, les Ottomans ont en matière de calligraphie arabe accompli des merveilles et le toughrâ est la plus admirable synthèse visuelle du nom de « L’ombre de Dieu sur terre » – ainsi nommait-on le sultan – à laquelle ils sont parvenus.
Et ensuite
Le mieux pour commencer, après une prière pour le Prophète, sera la citation d’un extrait de Shams Eddine al-Dhahabî, rapporté par Ibn Iyâs*, qui raconte le secret de l’appellation de la ville construite en 969 par Jawhar al-Siqillî au nord-est de l’ancienne Misr* en prévision de la venue de l’imam fatimide al-Mou‘izz li-Dîn-Allah depuis le siège du califat ismaélien établi à Kairouan :
« Lorsque le général Jawhar voulut édifier l’enceinte du Caire, il dessina le plan de la ville et réunit les astronomes à qui il donna ordre de lui choisir un lever favorable pour en poser les fondations. Il fit planter aux quatre côtés des fondements de la cité une rangée de pieux en bois qu’on relia entre eux d’une corde à laquelle des clochettes de cuivre furent suspendues. Lorsqu’il fut fait, les astronomes se postèrent dans l’attente de l’heure propice et de l’ascendant heureux pour commencer l’ouvrage. Un signal convenu avec les maçons voulait que, dès qu’ils agiteraient la corde, ces derniers, au tintement des clochettes, jetteraient les pierres qu’ils avaient entre leurs mains. Or il advint que, pendant qu’ils étaient dans l’attente de l’heure dite, un corbeau se posant sur l’une des cordes la fit sonner et, croyant que les astronomes la leur avaient agitée, les maçons posèrent leurs pierres dans la tranchée. « Non ! crièrent les premiers, la Victorieuse est à son ascendant », désignant par ce mot la planète Mars qu’ils nommaient ainsi entre eux. Et le sort en fut jeté. »
* Les mots suivis d’un astérisque sont expliqués dans le lexique en fin de volume.
1 Nous indiquerons cependant en italique les mots translittérés du français ou anglais d’origine française contenus dans le texte arabe. Les mots en anglais sont ceux du texte arabe (Les notes et le lexique sont du traducteur).
1 Nous n’avons pas reproduit dans la traduction française ce glossaire d’arabe égyptien destiné au lecteur arabophone. De même, le lexique a été revu et étoffé pour les besoins de la traduction.
2 Le titre original du roman est Kitâb al-tughrâ (« Le livre du toughrâ »).
3 Équivalent de notre r dit « parisien » mais plus fortement grasseyé (On a donc la succession : r grasseyé / r roulé, comme dans « Maghreb »).