Domaine allemand
Parution Avr 2019
ISBN 978-2-88927-658-5
480 pages
Format: 140x210 mm
Disponible

Traduit de l'allemand par Gilbert Musy
Préface de Claro

Domaine allemand
Disponible

Traduit de l'allemand par Gilbert Musy

Poche
Parution Août 1998
ISBN 978-2-88182-341-1
Disponible

Traduit de l'allemand par Gilbert Musy

Beat Sterchi

La Vache

Domaine allemand
Parution Avr 2019
ISBN 978-2-88927-658-5
480 pages
Format: 140x210 mm

Traduit de l'allemand par Gilbert Musy
Préface de Claro

Domaine allemand

Traduit de l'allemand par Gilbert Musy

Domaine allemand
Parution Août 1998
ISBN 978-2-88182-341-1

Traduit de l'allemand par Gilbert Musy

Résumé

« Dans La Vache, il y a le monde d’Innerwald, ce havre qu’est l’étable, où, ballottées par les saisons, vivent et rêvent les vaches de Knuchel que nous apprenons à connaître, à reconnaître, à caresser du regard. Et puis il y a le monde social, celui des cafés où les poings s’abattent tandis que les chopes s’élèvent, où jalousies et mesquineries se tressent autour de la peur de l’étranger. Enfin, il y a le monde de l’abattoir, auquel est dévolu un chapitre sur deux, situé à sept ans du temps des pâturages. Deux traits saillent au fil des pages, qui reviennent et finissent par se mêler : xénophobie, abattage.
Roman réaliste ? Récit champêtre assorti d’une critique sociale ? Vie d’une vache ? Comment décrire la sanglante odyssée de Blösch et la descente aux abattoirs d’Ambrosio ? S’il y a réalisme dans ces pages irradiées d’une minutie sensible au moindre détail, c’est un réalisme de la chair, de l’incarnation. »

Première parution en 1987

 

Auteur

Beat Sterchi

Beat Sterchi était programmé pour devenir maître-boucher, comme son père. Mais dès la fin de son apprentissage, il quitte le « pays nanti » helvétique pour le Canada, le Honduras puis encore le Canada. C’est notamment une intense plongée dans les grandes littératures américaines, anglophone et hispanophone. En 1983, il a 34 ans et publie son premier roman, La Vache. Coup de tonnerre dans le monde littéraire germanique, les medias acclament l’auteur, se l’arrachent. Pour lui c’est trop, faux, exagéré : Sterchi fuit le succès, déguerpit en Espagne. Depuis, il écrit reportages, petites proses, textes pour la radio et le théâtre, et continue de s’intéresser à l’oralité et aux réalités sociales.

Pour en savoir plus : http://www.culturactif.ch/viceversa/sterchi.htm

Dans les médias

« En 1983, quand la maison Diogenes publia La Vache, ce fut l’enthousiasme. La critique suisse et allemande salua, dans ce premier roman d’un auteur inconnu, un livre «fou» (Basler Zeitung), «sauvage, démoniaque et lent, magiquement poétique» (Die Zeit). Le magazine Der Spiegel osa la comparaison avec Le tambour de Günter Grass. »

http://www.culturactif.ch/viceversa/sterchi.htm

« L’auteur a écrit le grand roman réaliste du monde rural et de l’industrie alimentaire, où le sort du travailleur étranger a peu à envier à celui du bétail. Pour lui, le destin de Blösch, la vache qui fut la reine du troupeau et qui finit carcasse et viande impropre, est à l’image de celui de l’ouvier étranger. » Martine Freneuil  

« La Vache est un récit d’une précision et d’un réalisme à faire froid dans le dos. » Claire Muller

« On pourrait dire, pour faire bref, que le texte de Beat Sterchi est un traité sur l’existence des vaches et les vacheries de l’existence, dire aussi que La Vache précipite son lecteur dans des torrents de jouissance et d’horreur. Ce roman vrai joue sur deux temporalités. (…) Beat Sterchi, en diffractant les temps, les angles et les voix, extrait finement son récit hors des rails d’une dichotomie simpliste. Car les étrangers, que ce soit au village ou à l’abattoir, ne sont jamais les bienvenus au « pays nanti ». (…) Ce sont eux, pourtant, qui sauront conclure en beauté cette fable inouïe, où merveille rime avec vermeil, par une épiphanie de sang. » 

Un article de Alain Dreyfus à lire en entier ici

« L’unique roman de l’écrivain suisse allemand Beat Sterchi est un chef-d’œuvre qui nous mène de l’étable à l’abattoir. En chroniquant la vie d’un ouvrier immigré. (…) La Vache est un roman pour notre présent, et maintenant peut-être plus encore qu’en 1983. (…) [Le livre est] servi par une très belle traduction : sa simplicité est celle d’un écrivain au sommet de son art. Car il faut un grand art pour raconter des vies humbles : savoir les saisir et les faire entendre, sans les écraser sous des artifices, sans les enterrer par des moyens trop sommaires. (…) La beauté du livre tient à son attention au geste : sa justesse est là. La main, les détails concrets sont au premier plan, ce sont eux qui importent, eux qui racontent le monde qui les entoure. (…) à la manière d’une épopée, le roman de Sterchi se veut un monument : un mémorial pour les gestes des hommes, un tombeau pour les animaux morts, une rhapsodie funèbre dévolue à la violence – qu’elle confine à l’horreur ou au divin. »

Un article de Lise Wajeman à lire en entier ici

« Rien que du sang et de la sueur : ainsi pourrait-on résumer ce roman sidérant. (…) Que grâce soit ici rendue à Gilbert Musy [le traducteur] qui a su rendre avec brio (…) la puissance de cette langue aux accents parfois déroutants. (…) Ce roman est loin en effet d’être seulement une histoire de ruminant. C’est une histoire d’hommes, un hymne à la douleur de ceux qui sont obligés de travailler dans les abattoirs. »

Un article de Pierre Deshusses à lire en entier ici

« Les grands livres sont hors actualité, le temps qui passe renforce leur pertinence et leur urgence. Ainsi en est-il de La Vache (Blösch), roman de Beat Sterchi écrit en 1983, paru chez Zoé en 1987, republié le mois dernier, doublement actuel dans sa saisie de la xénophobie et de l’abattage des animaux, soit une même violence dans le rapport à l’Autre.

Comme l’écrit Claro dans sa préface, il manquait aux vaches « une œuvre digne de Moby Dick ». Ce roman, Beat Sterchi l’a écrit, dans une forme singulière. (…)

L’alternance des chapitres nous refuse toute opposition confortable, édifiant un texte absolument irréductible que Die Zeit qualifiait très justement (…) de « texte sauvage, démoniaque et lent, magiquement poétique ». Beat Sterchi nous force à considérer un système, dans son versant humain comme non-humain : l’ouvrier (dans les champs, à l’abattoir) et la vache (traite, abattue) sont deux étrangers, deux figures d’une même exploitation, soumis à une même violence rendue de manière sidérante par ce récit d’une exploitation de l’homme par l’homme, de l’animal par l’homme. »

Un article de Christine Marcandier à lire en entier ici

« Ce livre condense à lui seul la déchéance de notre société. (…) Chronique d’une mort annoncée, celle de la chair et celle de l’âme, La Vache est une sorte de roman total propulsé par un souffle visionnaire. (…) Beat Sterchi envoie à l’équarrissage les faux-semblants et, avec eux, la littérature tiédasse. Un coup de massue… ou un coup de grâce. » Martine Laval

« Écrit en 1983 et réédité aujourd’hui, La Vache du romancier suisse Beat Sterchi reste d'une puissante actualité, morale et politique : ce que l'on fait subir aux animaux, c'est ce que l’on s'inflige à soi-même. (…) Ce roman avance sur les deux pieds d’un chef-d’œuvre. (…) La description de l’œuvre de mort est implacable, détaillée, éprouvante. (…) La Vache est un récit sauvage et moral, diabolique et politique, un désespoir poétique où Blösch et Ambrosio sont les deux victimes d’une défaite en miroir qui donne envie de hurler. »

Un article de Gérard Lefort à lire en entier ici

« Roman polyphonique, la Vache entrelace plusieurs points de vue et différents types d’écriture, entre réalisme social et expérimentation littéraire. Nourri du flux de conscience joycien et de la précision d’Herman Melville dans Moby Dick, l’auteur dissèque le corps de l’animal, intercalant l’écriture des sensations et, en italique, des connaissances théoriques sur l’équarrissage. Dans des passages d’une acuité et d’une violence à couper le souffle, l’un des employés, s’exprimant à la première personne du singulier dans une langue triviale et poétique, livre un regard puissamment politique sur un monde du travail méconnu et déconsidéré. (…) Roman de chair et de sang profondément contemporain, la Vache lie le sort de tous les dominés, qu’ils soient humains ou non humains. » Sophie Joubert

« C’est au scalpel que Beat Sterchi, traduit par Gilbert Musy avec une exactitude mêlée d’échappées lyriques, décrit des mains (propres) saisissant des couteaux (propres) dans des fourreaux (propres) pour trancher des rognons, désosser des morceaux moins nobles destinés à la fabrication de saucisses… Un roman d’une précision sidérante. »

Un article de Linda Lê à lire en entier ici

La Vache, un roman « Épique et poétique, politique, traitant de réalités absentes alors de la littérature, mêlant à une langue puissante des expressions de dialecte (…) ».

Un article d’Isabelle Rüf à lire en entier ici  

« Véritable odyssée romanesque, La Vache emmène le lecteur au plus près des bêtes et des hommes, par la magie d’une langue à voix multiples, sensuelle et âpre, parfois jusqu’à l’insoutenable. » Maxime Maillard    

« Beat Sterchi s’intéresse aux réalités sociales. Vous apprendrez beaucoup avec ce livre. »

Une chronique de Régine Le Meur à écouter ici (1h08)

Beat Sterchi était l’invité de Mélanie Croubalian dans l’émission « Entre nous soit dit ». A réécouter ici

« On décèle chez l’écrivain alémanique une grande influence, l’Ulysse de James Joyce (…), de semblables effets, une singularité, une stylisation de l’oralité comme de l’intériorité, un désir d’autrement. Les effusions de Beat Sterchi restent structurées ; ses expérimentations, son travail épatant sur la langue, sont canalisés par un sens classique du tragique. » Thibaut Kaeser

« Il faut avoir le cœur bien accroché pour supporter la partie boucherie de cette somme étonnante portée par une écriture généreuse d’une grande précision descriptive. Un roman puissant, incroyablement vrai, toujours d’actualité. » T.R.et C.B.

« Satire impitoyable de la société suisse, « la Vache » est aussi un chant virgilien à la gloire de la vie rustique, et une invitation à opter pour le régime crudités. » Didier Jacob

« Un roman à couper le souffle. Le lecteur en ressort laminé, éclaboussé de sang, de graisse et de mucus, mais ébloui par l’inattendu d’un réalisme à la fois poétique et clinique. » Michel Audétat

« Quel roman époustouflant ! Pas lu grand-chose d’approchant, vraiment.
Beat Sterchi pose un regard minutieux sur le monde, précis, infiniment précis, parfois jusqu’à inclure des descriptions tirées de dictionnaires ou de documents législatifs dénués d’humanité, tout en termes techniques froids et implacables.

Rien ne lui échappe, ni la trogne des villageois, ni leur ton de voix, ni les gestes tendres et doux de la traite ni ceux qu’il faut faire, malgré soi, pour tuer. Il sème tout au long du roman les petits indices qui prennent sens au fur et à mesure de la lecture, qui reconstituent le puzzle de ces sept années d’exil et d’apprentissage.

Constat noir, terrible et cependant empreint d’humanité et de fraternité, Sterchi unit les destins tragiques de Blösch et d’Ambrosio, tous deux exclus, l’un parce qu’il est animal, l’autre parce qu’il n’est pas né au pays des nantis. Langue magnifique, chapeau bas au traducteur, Gilbert Musy, qui a fait des merveilles. »

Un article publié par Dance Flore à lire en entier ici

« S'il faut avoir le cœur bien accroché pour suivre tous les détails de la chaîne d'abattage (…), la lecture de La Vache paraît indispensable, et pas seulement aux convaincus. »

Un article de Céline Maltère à lire en entier ici

« La plume magnifique de l’auteur (…) n’a rien perdu de sa justesse, comme la traduction de Gilbert Musy, à la saveur si helvétique. [Un livre] indispensable. »

Une interview de Beat Sterchi par Tamara Bongard à lire en entier ici

« Tenant à la fois de l’Odyssée et d’Orphée pour sa terrible descente aux enfers des abattoirs, La vache est écrit de main de maître par Sterchi et admirablement traduit de l’allemand par Gilbert Musy. (…) Entre douceur de l’étable et violence des abattoirs soumis aux logiques de l’industrie alimentaire, cette fable réaliste cruelle est hélas plus que jamais d’actualité. Grand livre, mais sacrée vacherie ! » Guillaume Lebaudy

« « La Vache » de Beat Sterchi a les quatre pattes dans le fumier et l’abattoir pour horizon. (…) [Dans] ce formidable récit (…) Sterchi rend incroyablement vivant – boue et sang compris – ce monde paysan traditionnel en train, déjà, de disparaître. La langue est belle, crue souvent, riche toujours ; le regard, infiniment attentif au détail, est plein d’humanité. A lire Sterchi, on pense au cinéaste Fredi Murer. » Patrick Chabbey

« Une lecture éprouvante mais absolument nécessaire. Pour le vertige qu’elle propose à l’esprit des hommes. Pour la beauté suffocante de ces pages (la préface de Claro et la traduction de Gilbert Musy sont impeccables). La littérature dans sa haute noblesse. »

Un article de Léon-Marc Levy à lire en entier ici

Coups de cœur

LA VACHE !!

Une œuvre digne de Moby Dick.

« Un texte fort porté par une langue puissante » Céline

« Jeux de langue et nerfs de bœuf sont au programme de cet inoubliable roman ! » Simon

La Vache, coup de cœur de Sarah et Hugues
 

« Un texte d'une beauté et d'une clairvoyance surprenante. (…) Ne passez pas à côté de ce chef-d'œuvre !!! »

Extrait

1er chapitre

Bien des années plus tard, alors qu’il venait pour la dernière fois de se hisser sur la pointe des pieds et de remettre sa carte dans la fente numéro 164 du support de la machine à timbrer installée à l’entrée des abattoirs municipaux, Ambrosio se souvint de ce lointain dimanche où il était arrivé au pays nanti.

Après un voyage aussi épuisant que compliqué de son Sud natal vers un Nord attirant incarné seulement par quelques noms imprononçables sur des papiers officiels, voyage qui l’avait conduit par des plaines désertiques, des cols et des tunnels, il s’était retrouvé subitement, débarqué et abandonné tel une pièce de bagage, au centre d’Innerwald, au centre de ce village que depuis des mois il avait essayé obstinément, mais en vain, de se représenter. Enfin arrivé ! Enfin ce qu’il avait souhaité pour lui et pour sa famille se réalisait. Bientôt il travaillerait, gagnerait de l’argent ; bientôt il pourrait envoyer ses premiers mandats : il avait réussi, lui Ambrosio, là où tant d’autres échouent, et pourtant, à peine arrivé, il fut saisi du désir de courir après le bus qu’on voyait encore, de crier halte ! au chauffeur, de se faire ramener immédiatement, par tunnels et montagnes, vers la lumière de son propre village à La Corogne.

Mais le car postal ne l’avait pas attendu, il était parti, avait glissé latéralement comme un rideau de théâtre jaune et l’avait livré en pâture à un public curieux.

Une douzaine d’Innerwaldiens, à l’instant encore occupés à manipuler des bidons et des seilles à l’entrée de la laiterie coopérative, à donner des ordres à leurs chevaux et à leurs chiens, à rire et à se vanter, soudain se turent, interrompirent leurs activités pour fixer l’étranger debout au milieu de la place de leur village, exposé comme un poisson à l’étalage, hésitant comme un détenu libéré devant le porche de la prison.

Rien ne bougeait plus : le film était bloqué ; le son manquait, seule l’eau de la fontaine chantait encore.

Ambrosio était incapable du moindre mouvement, incapable de se rouler une cigarette : paralysé, il se voyait face à lui-même. Tout en lui avait subitement acquis une étrangeté menaçante. Il sentait ses cheveux coupés ras autour de sa calvitie, sentait que ses cheveux étaient noirs. Il percevait l’odeur de sa propre transpiration, sa chemise était sale et humide, il aurait tant aimé cacher ses jambes maigres qui dépassaient, filiformes, d’un pantalon qui s’arrêtait au genou. Il jeta un regard à sa petite valise déformée, leva ses yeux vers les gens, les baissa encore : en une seconde, il avait appris la solitude. Pour la première fois de sa vie, il sut qu’il était petit, étranger et différent.

Il fallut qu’un étalon franc-montagnard cherche à se débarrasser de son harnais tout en hennissant bruyamment pour que le dimanche soir se remette à vivre. Le moteur d’un tracteur vrombit ; les Innerwaldiens se remirent à rire et à se vanter ; les bras des fromagers s’emparèrent de nouvelles seilles de lait, déversant par quintaux le flot blanc dans la balance et les bacs de refroidissement ; les chiens de berger attelés poursuivirent leurs aboyantes rivalités à distance respectable, de son sabot une haridelle gratta le pavé rond à en faire jaillir des étincelles.

Cette reprise des activités réjouit Ambrosio et il serait resté encore longtemps immobile au milieu de la place si un groupe de vaches se dirigeant sur lui ne l’avait contraint à prendre une décision. Deux garçons dirigeaient les animaux vers la fontaine située en face de la laiterie, devant l’auberge ochsen. En tête du troupeau marchait avec des allures de maire une bête puissante à l’air paisible, certes, mais qui ne paraissait pas disposée, néanmoins, à dévier de deux pas de son trajet ordinaire à cause du petit Espagnol.

Ambrosio empoigna sa valise et, tout en cherchant de sa main libre ses papiers dans ses poches, il se dirigea vers la laiterie où il mit sous le nez d’un visage adolescent son permis de séjour et un autre document de la police des étrangers. Mais il se vit cerné de visages muets, lèvres serrées. Les regards le jaugeaient, les fronts se plissaient, les têtes oscillèrent horizontalement, non ; on se tourna vers le laitier. Celui-ci, sans interrompre la pesée, s’enquit de ce que leur voulait ce freluquet en pantalon court.

— Je crois bien que c’est l’Espagnol à Knuchel. Regarde, voilà ses papiers, dit un paysan en tendant la liasse fatiguée au laitier.

— Aha ! Il s’est donc décidé. N’a pas l’air fait pour sortir le fumier, le gaillard. N’a pas le thorax, il me semble. Est-ce que je me trompe ?

Ce disant, le laitier qui les dominait tous du haut de la rampe emplit ses propres poumons à les faire sauter.

— Il y a sûrement plus à faire à torcher les morveux qu’à l’étable, chez Knuchel, poursuivit-il. Écoute ! Le garçon à Knuchel arrive toujours le premier avec son lait. Tu comprends ? Y a longtemps qu’il est reparti.

Ambrosio secoua la tête.

— Tu ne sais pas l’allemand ? lui demanda-t-on, amusé, après quoi plusieurs Innerwaldiens éclatèrent de rire. Le laitier aussi fit encore quelques plaisanteries mais s’arrêta quand il s’aperçut qu’Ambrosio qui sentait bien de qui on riait mais ne soupçonnait pas malice se mit à rire lui aussi et osa même, au milieu de tous ces Innerwaldiens, rouler enfin la cigarette tant désirée.

— Mosimann ! Tu passes près de chez Knuchel. Emmène le petit, là !

La nuit tombait déjà quand Ambrosio descendit la rue du village. Il suivait un petit char qu’un garçon buté freinait cependant qu’un chien berger noir, rouge et blanc, pressé de trouver son écuelle, tirait de toutes ses forces. Ambrosio aussi avait faim. Il aurait volontiers avalé quelques lampées de la soupe dont l’odeur douceâtre s’échappait en volutes du bidon posé sur le char. Il ne se doutait pas que ce n’était que du petit-lait, un résidu de fromagerie destiné à l’engraissement des porcs.

Ambrosio ne vit pas grand-chose d’Innerwald. La rue était peu éclairée et devant les fermes aussi il y avait peu de lumière. Mais il entendit des bruits de sabots, des appels et des ordres destinés aux bêtes ; il entendit le choc des récipients métalliques qu’on lavait à la fontaine et qui rendaient un bruit de clochettes ; il entendit des bruits de balai, de voitures, des poules et des cochons, car les Innerwaldiens, dans leurs granges et leurs étables, vaquaient aux dernières besognes de la journée et aux premiers préparatifs du lendemain.

On distinguait encore bien la silhouette des fermes : les toits hauts et larges comme si à eux seuls ils devaient protéger la moitié du monde d’un ciel agressif ; chaque toit une cathédrale. Par ailleurs, Ambrosio s’étonnait de voir partout le fumier empilé au bord de la route. De véritables montagnes de fumier s’élevaient devant les maisons et répandaient leur odeur.

Une fois sortis du village, le garçon sourit à Ambrosio et lui proposa de placer sa valise sur le petit char.

— Plus que cinq minutes, dit-il en tendant à Ambrosio ses doigts écartés.

Ambrosio n’avait aux pieds que des sandales légères et il marchait sur la bande d’herbe centrale du chemin qui en trois lacets, passant devant des pâturages enclos et des vergers, descendait pour pénétrer dans un bosquet de sapins après un long virage.

Après le bosquet, le garçon désigna un groupe de constructions qu’on devinait encore dans la pénombre.

— C’est là qu’ils sont, les Knuchel, dit-il, fit un signe et disparut dans la nuit avec son chien et son petit char.

Avant de prendre l’étroit sentier qui conduisait vers le domaine blotti entre deux collines, tel un autre village, Ambrosio roula encore une cigarette.

Tout en aspirant profondément les premières bouffées, il remarqua que le ciel était étoilé.

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