1
Bonjour, dit le tatou à un éboueur. Auriez-vous par hasard
vu passer un opossum ?
L’homme lève son balai vers le nord, où un nuage
ondoie sur les déserts comme une grande montagne. Le tatou
remercie et se met en chemin, contre le vent.
2
Sur le dos sa carapace, son casque sur le chef : il va
avec sa vue médiocre, et sa délicieuse chair
protégée. Il va parce qu’il va,
parce qu’il faut aller, parce que le monde
est vaste, le temps bref. Et le parfum
de certaines fleurs, vraiment délicieux.
3
Le tatou chantonne en chemin.
Personne ne l’écoute.
C’est dommage : si quelqu’un l’entendait
on pourrait savoir ce que chante
ce courageux petit animal. Peut-être
nous mettrions-nous aussi en chemin.
4
Maintenant le tatou a soif : il est au milieu du désert.
Il suit encore les traces de l’opossum, mais le désert
ne conserve pas ses traces. Alors il suit
des lignes plus sombres sur le sol et ainsi il arrive
devant un char d’assaut abandonné au milieu de nulle part.
Bonjour, dit le tatou au char d’assaut.
Qui reste muet.
5
Si le char d’assaut pouvait penser,
peut-être serait-il surpris. Mais il est vide,
rouillé et empoussiéré. Et le tatou est têtu.
Vous êtes grand et gros, lui dit-il. Mais vous ne parlez pas, ne saluez pas.
Et je devrai mourir de soif en face d’un mal élevé ?
Par chance un petit rat émerge
du canon désolé.
Ne fais pas attention, lui dit-il. C’est un inadapté.
Entre, je t’offre quelque chose.
Et le tatou le remercie.
6
Quand cela s’avère nécessaire
le tatou peut creuser pendant des heures :
de longues tanières, zones humides et sombres où attendre
des temps meilleurs, des pluies, époques où l’espérance
n’est plus tout à fait impossible. Si l’attente
est longue, il la trompe en dormant.
Et quand la lune se lève il lit Cervantes.
7
Dans un état presque au nord a été édictée une loi
sur les tatous : il est interdit d’en posséder.
On peut posséder
des voitures, des esclaves masqués, des fusils, mais des tatous
non. C’est une loi intéressante,
pense le tatou. Et il s’attarde un peu
dans cet état
si clairvoyant.