— Non, pas celle-là, j’en ai encore besoin. Il faut que je prenne mes affaires pour la nuit. Soyez gentil, redescendez-la. C’est toujours le bordel, les filles, hein?
Elle a éclaté de rire, puis elle m’a chuchoté à l’oreille,
— Si tu restais dans le train ?
— Comment ça?
— Oui, si tu venais à Barcelone avec moi !
— Je n’ai pas de billet.
— En clandestin, idiot! Tu te planques quelque part, je viendrai te chercher une fois que le train aura démarré.
— Et la personne qui a réservé l’autre place ?
— Le contrôleur vient de me dire que je serai seule dans le compartiment.
— Mais je n’ai pas mes affaires avec moi, je ne peux pas partir comme ça.
— Justement, tu improvises. C’est plus mar- rant que de tout préparer à l’avance.
Elle m’a à cet instant lancé un beau regard, empreint à la fois de tendresse et de malice. Je ne savais que penser de ses gestes, de ses intentions, de sa façon de passer au tutoiement sans crier gare, alors que je pourrais être son père, et tout à coup ça a pris un tour à peine croyable, dans ce petit compartiment encombré de valises où l’on étouffait parce que la climatisation n’était pas encore enclenchée. Elle a défait son écharpe et retiré son chemisier, d’un geste net, par le haut, en élevant bien les bras, je me trouvais avec ses aisselles touffues presque sous le nez, une odeur âcre de transpiration mélangée à un parfum musqué, et le poil blond et doux comme ses cheveux, ensuite elle a soigneusement plié le chemisier et l’a glissé dans la valise laissée entrouverte sur le lit inférieur, puis elle s’est redressée, dirigeant son regard vers la vitre, et elle a passé lestement ses mains derrière le dos pour dégrafer le soutien-gorge, un «wonderbra » qui faisait rebondir ses seins à présent libérés, de taille moyenne, en forme de poire, deux petites poires délicieuses à sucer, avec des aréoles à peine discernables sur la peau sombre et des tétons rétractés, aucun signe d’excitation, ni d’embarras, percevait-elle seu- lement l’ambiguïté de la situation ? Le soutien-gorge avait rejoint le chemisier dans la valise, elle enfilait pour la nuit un t-shirt avec deux faux seins roses et excentriques imprimés sur les pectoraux. Nos regards se sont alors croisés, je lui ai souri, hochant la tête, elle aussi m’a souri et a levé les sourcils au plafond, comme pour me dire «eh! oui, c’est ainsi», ou «trop tard», ou rien, simplement rien, puis elle m’a fait signe d’aller aux toilettes, de me planquer là, elle viendrait me chercher lorsque le train aurait atteint sa vitesse de croisière. Le contrô- leur avait cependant dû se méfier de mon allure pas très fraîche, il en aura nourri quelque crainte et sera venu vérifier que tout se passait bien, que je n’importunais pas la jeune femme, haussant d’emblée le ton pour m’ordonner de descendre du train, puisque je n’avais pas de titre de transport.