Un an avant qu’Armstrong n’aille sur la lune, j’ai failli mourir. Nous avions découvert l’Écosse, nous revenions vers Cambridge. La radio jouait « Lady Madonna » des Beatles et « Guitar Man » d’Elvis. À la sortie d’un tournant, la Mini Cooper a quitté la route, défoncé un muret de pierres et s’est retournée. Simon avait trop serré son virage. J’ai pensé, voilà, c’est maintenant et c’est comme ça, j’ai dix-huit ans et je vais mourir. Ça a duré une éternité. J’entendais la tôle se froisser de plus en plus. La Mini n’en finissait pas d’être rejetée d’embardée en embardée, le mur partait en éclats, diffusait ses cailloux en tous sens, une explosion, un vrai big-bang en réduction. On s’est éjectés, Tim se tenait le ventre, Simon jurait, moi, sans ressentir aucune douleur, j’ai vu du sang jaillir de mon bras. Je n’étais pas tout à fait sûr d’être encore vivant. Dans le pré, à la sortie du trou qu’elle avait rondement creusé dans le muret, la Mini ressemblait à une boîte de conserve compressée. Une ambulance est arrivée comme un cadeau surprise sur cette route isolée et déserte. Envoyée par qui ? On n’a jamais su. On nous a emmenés, sans nous faire l’honneur de la sirène, à quoi bon, route béante, ouverte sur l’enfer ou le paradis. Piqûre antitétanique, bandages. Simon s’excusait et s’excusait encore, c’était sa faute, il n’aurait pas dû céder à son démon familier, prendre tant de risques dans les virages. J’ai pensé que j’étais ressuscité ou que j’avais conclu un pacte amical avec le diable. Si j’étais mort, j’avais une nouvelle vie devant moi.
À Paris, l’émeute sourdait. Nous n’en savions évidemment rien. C’était avril 1968.