« Ces trois êtres évoluent dans l’appartement exigu sans jamais s’effleurer. L’incompatibilité manifeste entre le mari et sa femme donne lieu à des scènes à l’ironie incisive (« Et voyant sa pelote de laine à terre, il se baissa machinalement pour la ramasser. C’était le seul service qu’il lui rendît jamais, et justement le seul inutile. »). Derrière ce couple mal assorti, Catherine Colomb semble se faire une joie de détruire le mirage que représente l’institution du mariage. Calculs financiers, rivalités petites-bourgeoises, méprises constantes : rien ne résiste à sa plume, surtout pas le désir romantique.
(…)
L’écriture est percutante, pétrie de lucidité et de douleur, criblée de comparaisons fulgurantes (« Son amour était comme ces crevasses qu’on a en hiver au coin du pouce ; elle se heurtait à chaque objet. ») qui sont autant de pépites à la fois mordantes et désolées. C’est cette ambivalence déchirante, laquelle s’affranchit sans aucune retenue des convenances de l’époque, qui nous saisit au tant à la lecture du texte. Comme le souligne l’écrivain Daniel Maggetti dans sa préface, ce premier roman constitue « le socle nécessaire à l’édification de l’œuvre à venir, dont le soubassement, on l’aura compris, repose sur des décombres intimes ». La modernité avec laquelle Catherine Colomb s’empare de ses empêchements, déconvenues et échecs personnels pour attaquer l’hypocrisie du mariage, les injustices dont les femmes sont victimes ainsi que la petitesse des mentalités bourgeoises est remarquable. C’est ce qui explique sans doute sa reconnaissance trop tardive, elle qui était néanmoins admirée de son vivant par les poètes Gustave Roud et Philippe Jaccottet, et qui est désormais considérée comme une des plus grandes autrices de la Suisse romande, au même titre que sa contemporaine Alice Rivaz. » Camille Cloarec