Le temps zéro n’existe pas
On aura beau retourner le problème dans tous les sens, la solution restera en suspens. Elle est, comme les fruits et l’eau de Tantale, toute proche et pourtant inatteignable. C’est le supplice de la physique contemporaine, elle qui souhaite tant remonter jusqu’au début de l’Univers et percer son secret. Non pas celui de la toute première seconde, l’objectif a déjà été atteint, mais celui de cet intime moment de basculement quand le vide écumant a engendré un Univers tout entier, le nôtre. Bien sûr, il arrive à la science de douter d’elle-même, de ce qu’elle pourrait découvrir dans l’avenir. Qui aurait pu affirmer mordicus il y a un siècle encore que l’homme laisserait un jour son empreinte sur le sol poussiéreux de la Lune? Et ce n’est là qu’un exemple parmi tant d’autres où les «impossibles» d’hier sont devenus les «possibles» d’aujourd’hui. Pourtant, dans le cas des tout débuts de l’Univers, la donne serait différente. Certains, au sein même de la science, l’affirment: le basculement créateur nous échappera à jamais. Il est comme un horizon indépassable pour la connaissance humaine, une ultime frontière qu’aucun visa, expérimental ou théorique, ne permettra de franchir. Ce constat, s’il devait se confirmer, serait d’autant plus amer que les progrès réalisés jusqu’ici ont permis de reconstruire l’histoire de l’Univers avec un incontestable brio. On connaît presque chaque étape par laquelle le cosmos a dû passer pour nous livrer aujourd’hui le spectacle de sa magnificence. On évalue aussi toujours plus précisément son âge: 13,5 milliards d’années à quelques dizaines de millions près.
Il a fallu aux physiciens jongler avec trois disciplines, encore balbutiantes au début du 20e siècle, pour parvenir à décrypter les mystères de notre cosmos: la cosmologie, qui traite de l’infiniment grand, de l’Univers, de sa structure et de tout ce qu’il contient; la physique nucléaire, qui parle des atomes et de la façon qu’ils ont parfois de se casser (fission) ou de se marier (fusion) ; et finalement la physique quantique, cette science de l’infiniment petit qui décrit les particules élémentaires et les forces qui les commandent et qui nous livre la vision d’un monde étrange où le vide n’est pas néant, mais plein d’une agitation qui peut, à l’occasion, donner naissance à un, et même à une infinité d’univers…
On est loin du compte en ce début de 20e siècle. Les dogmes ont la vie dure et les scientifiques eux-mêmes y succombent. Voyez Albert Einstein, père des relativités restreinte et générale. On peut être un génie et éprouver de la peine à se débarrasser de conceptions anciennes, alors même que ses propres équations démontrent l’inverse. Jusqu’en 1933, Einstein défendra bec et ongle l’idée d’un Univers stationnaire, autrement dit un Univers immuable, qui a existé de toute éternité, sans début des temps. Il faudra attendre plusieurs décennies avant que l’hypothèse d’un Univers en expansion et donc celle d’un Univers doté d’un début des temps n’emporte finalement l’adhésion de la très grande majorité des spécialistes. Plusieurs décennies ponctuées par une découverte majeure.
Nous sommes en 1964. Deux employés des laboratoires de la société américaine Bell, Arno Penzias et Robert Wilson, bricolent une antenne de transmission dans le but de la transformer en radiotélescope. La période est faste pour la radioastronomie. On vient de comprendre que l’Univers s’exprime par bien d’autres langages que celui de la seule lumière visible. Celle-ci ne constitue en effet qu’une toute petite partie du spectre électromagnétique qui s’étend des rayons gamma, de loin les plus énergétiques, aux ondes radio. Et si l’on prend la peine d’étudier l’Univers à chacune de ces longueurs d’onde, on se rend alors compte qu’il nous dévoile à chaque fois un autre visage de lui-même et de nouvelles informations sur la diversité des phénomènes et des objets qu’il abrite.