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La pierre
« … Je suis âgé de cinquante et un ans, j’ai étudié puis pratiqué la géologie pendant de nombreuses années avant de m’écarter délibérément du milieu officiel de la recherche et de l’Université après la parution d’un essai que mes confères jugèrent, peut-être à juste titre, indigne de la rigueur expérimentale. Mon travail n’était qu’une modeste tentative à mi-chemin entre la réflexion scientifique et la rêverie philosophique. Ma réflexion portait sur une question pour moi essentielle à laquelle je n’ai d’ailleurs jamais eu la prétention de répondre : quelle chance reste-t-il à l’être humain, cette invention de dernière heure dont la conscience et l’intelligence spéculative sont à la fois trop et trop peu développées, d’appréhender le monde extérieur dans sa totalité comme une dimension de son être propre ? Je suggérais que l’homme possède peut-être une mémoire occulte ou archaïque qui contient l’ensemble du macrocosme, une sorte de mémoire dont nous ne possédons pas la clé mais qui parfois, pendant les stases de la mémoire ordinaire, communique au cerveau les richesses de son contenu. L’amour du monde, l’amour de la nature — pour utiliser une expression naïve — sont l’amour de soi qui se perpétue dans l’indicible nostalgie de l’esprit pour la matière. Mais si je pose aujourd’hui ma candidature au poste de secrétaire et homme de compagnie, c’est que je crois posséder certaines compétences qui ne viennent pas de ma formation professionnelle mais de mon expérience personnelle. Après une grave crise de conscience, j’ai ressenti la nécessité de m’éloigner du monde et je suis devenu oblat à la chartreuse de la Verna, près d’Arezzo, là même où saint François d’Assise reçut les stigmates. Pendant près de dix ans, je me suis occupé quotidiennement d’un vieux moine infirme, atteint, comme vous, d’un traumatisme médullaire, et si cette tâche ne fut pas facile, elle m’apporta de grandes satisfactions intérieures… »
Il descendit de l’omnibus un jour d’août sous un ciel jaune, demeura seul sur le quai dans cette lumière d’avant l’orage. L’horloge de la gare était arrêtée. Loin en arrière des voies, au sein d’une petite plaine céréalière, les moissonneuses-batteuses circulaient dans la poussière de blé. Elles circulaient sans bruit et semblaient immobiles, comme l’ensemble de la campagne appesantie sous ce ciel de soufre. Les bâtiments de la gare portaient toutes les traces de la désaffectation, le train qui s’arrêtait trois fois par semaine sur un ballast herbu n’était déjà plus qu’un fantôme. Il traversa la voie sans rencontrer personne, déboucha sur une place encombrée de véhicules militaires qui paraissaient abandonnés. Il aperçut au loin, dans un champ, des soldats en exercice, il les observa un instant, puis se mit en route pour le bourg.
La route, rectiligne, sans arbre, s’incurvait dans l’axe du clocher dont seule la girouette dépassait du coteau. Plus loin, derrière un voile de pluie qui avançait vite à la rencontre de la plaine, les premiers contreforts des montagnes élevaient paisiblement leur douceur brumeuse. En réalité, de puissants coups de hache et l’effondrement des cimes anciennes avaient taillé dans ce relief de profondes gorges, élevé des falaises et tracé des éboulis de roches noires. Il chercha du regard la forteresse enracinée sur les hauteurs d’une cluse mais ne vit qu’une confusion de masses bleutées, aériennes, où scintillait çà et là le miroir d’une fenêtre.
La valise ne pesait guère, il portait un sac à dos de cuir qui contenait ses instruments de prospection et avançait à grands pas. Cinq semaines plus tôt, il suivait cette même route, mais en voiture, et entre-temps, Olga Grekova-Leber lui avait confirmé son engagement à titre de secrétaire et homme de compagnie — cette dernière qualification pouvant signifier n’importe quoi. Dans sa lettre, la femme avait précisé : « Après votre venue, j’ai reçu plusieurs candidats, seulement pour la forme car j’ai su aussitôt que vous seul conveniez sous tous rapports. » Et, puisqu’il semblait qu’Olga Grekova-Leber — la Grekova, comme on l’appelait encore dans le monde du théâtre — ne dissimulait pas ses sentiments, elle avait ajouté : « Ne vous méprenez pas, ce n’est pas par sympathie que je vous engage, vous n’êtes pas ce qu’il est convenu d’appeler un homme sympathique, et c’est tant mieux. »
Maintenant, il n’était plus certain d’arriver au bourg avant le rideau de pluie qui avançait à l’allure du galop. Il décida de s’arrêter, posa sa valise et attendit, immobile au milieu de la chaussée. Un imperceptible souffle poussa la pluie jusqu’à lui et, en quelques secondes, il fut trempé. Il ressentit une jubilation dans tout le corps, puis il reprit sa marche. Une voiture passa lentement, premier témoignage du mouvement dans cet univers figé et, derrière la vitre embuée, il entrevit le visage extraordinairement sculpté d’une femme qui ressemblait à une gitane. En contrebas, dans une cuvette d’ombre, les maisons grises du bourg serrées autour de l’église et les lotissements de la zone industrielle recevaient sur leurs toits luisants de pluie une flèche de lumière oblique.
La chambre que l’hôtelier lui loua donnait sur une boucherie ; mais dans la perspective de la ruelle, une fraction de colline surgissait avec sa végétation profuse et ses verts éclatants. Il se déshabilla, se coucha nu et regarda le plafond de bois où voletaient les mouches. Tout lui parut à la fois très beau et très insignifiant, comme sa vie, comme l’échec et la réussite. Le trafic était rare, il entendait le murmure d’une fontaine et la rumeur étouffée du mouvement des troupes du côté de la grande caserne. Ce corps blanc, massif, qu’il voyait étendu sans tête sur le drap lui parut appartenir à quelqu’un d’autre et il songea à tous les hommes dans le monde allongés nus sur le lit d’une chambre d’hôtel, engourdis par l’attente millénaire d’ils ne savaient quoi, reposant tout de leur long dans les couches primitives de leur sensibilité. Et malgré les mouches, à travers l’épaisseur des murs, au-delà des rocs et des forêts, il sentait peser sur la chambre la présence colossale de la forteresse. Il se leva, s’habilla et descendit dîner.
La soupe était celle de son enfance, épaisse, fumante. Il la mangea sans plaisir, le souvenir de son enfance ne lui apportait que tourments et amertume. Une chaleur accablante stagnait dans la salle à manger ; malgré la porte restée ouverte sur la fraîcheur de l’orage, l’air puait la sauce rance et la tambouille de cantine. Il commanda du vin.
« Vous ne m’êtes pas inconnu, je vous ai déjà vu ici, remarqua l’hôtelier en le servant.
— Je suis venu à la forteresse il y a un mois, dit-il.
— A la suite de l’annonce, n’est-ce pas ? C’est Tanguy qui est venu vous chercher, vous étiez avec deux autres candidats, si j’ai bonne mémoire. Alors c’est vous qui l’avez séduite ? »
Cette expression le fit sourire.
« C’est moi qu’elle a engagé », corrigea-t-il.
L’hôtelier s’assit à califourchon sur une chaise retournée et demeura quelques instants pensif, accoudé sur le dossier. Plusieurs militaires entrèrent bruyamment, s’installèrent autour de la plus grande table. Ils fleuraient l’after-shave et la buffleterie.
« J’ai dit séduite volontairement, dit l’hôtelier. La Grekova n’engage que des hommes qui ont su la séduire d’une façon ou d’une autre… »
Il repoussa son assiette encore pleine de soupe et demanda distraitement :
« Que savez-vous de Samuel Leber ? »
Déconcerté, l’hôtelier haussa les épaules et remua sur sa chaise. Une femme élancée et maigre, coiffée d’un extravagant chapeau de crêpe blanc, apparut sur le pas de porte, resta là quelques secondes, indécise, puis disparut sans un bruit.
« Ce que tout le monde sait, ni plus ni moins, dit l’hôtelier. Il n’est pas né ici mais il était originaire du bourg, vous pourrez voir sa tombe au cimetière. C’était un très grand architecte, un architecte militaire, on dit qu’il a construit les plus importants abris antiatomiques, c’est à lui que les Suisses ont fait appel pour leur réduit national, il a eu l’idée de creuser entièrement plusieurs montagnes, des centaines de kilomètres de couloirs. Il paraît que la population entière du pays peut s’y réfugier. Avant sa mort, il dirigeait des chantiers au Japon, en Amérique et même en Chine et en Russie. Il était très aimable, très doux. A présent, c’est la Grekova qui s’occupe de gérer ses affaires. Je ne veux pas vous décourager mais elle n’est ni douce ni aimable. »
La chaise craqua, l’hôtelier se leva, tout éberlué d’avoir tant parlé, et battit en retraite.
Après le dîner, resté seul, il sortit et marcha au hasard, respirant profondément sous un ciel clair où brillaient quelques étoiles. Qui, là-haut, le regardait cheminer ? Rien ne bougeait autour de lui, le cycle des jours et des nuits était interrompu, il entendait avec étonnement le bruit de ses pas sur les pavés. Plusieurs fois, il se retourna, croyant qu’on le suivait. Quand il s’arrêtait, les pas résonnaient encore un instant derrière lui dans la rue déserte, puis rejoignaient les siens dans le silence. Il fit le tour de l’église, trouva ouverte la grille du vieux cimetière où l’on inhumait encore les notables et alla de tombe en tombe, lisant à voix haute les noms et les dates. Où trouver à présent les tourments et les joies de ceux-ci ? Tant de douleur et si peu de trace ! Il se trouva bientôt devant l’une de ces sépultures ni anciennes ni récentes, une tombe entre deux âges, simple dalle qui penchait à droite sur le terrain affaissé, comme si le mort s’était retourné trop brusquement dans sa boîte.
SAMUEL LEBER
Architecte
1919-1977
Rien d’autre ne figurait sur le marbre. Il n’éprouva point de sentiment. Il allait travailler désormais pour la veuve de ce mort, autrefois homme célèbre dans la vanité des vanités et que sa passion de sauver le genre humain avait livré à une obsession dévorante. A nouveau, il sentit une présence derrière lui et se retourna. Il ne remarqua rien tout d’abord. Puis au-dessus du mur, aux confins d’une rue rectiligne, très haut dans le ciel assombri, il aperçut la silhouette de la forteresse. Son regard alla plusieurs fois de la tombe à l’invraisemblable bâtisse où il avait choisi d’aller vivre bientôt. Toujours il avait choisi sans hésiter, toute sa force résidait dans ces choix irrévocables et ambigus et, cependant, il n’en ressentait aucun orgueil, rien en ce monde n’aurait pu éveiller en lui la moindre glorification. En cela, il marchait déjà sur le chemin de l’impersonnalité, mais loin encore de ce lieu où il serait enfin semblable à un caillou.
Il revint à l’auberge et commanda du vin. D’autres soldats ripaillaient, tous des officiers ceux-ci, l’un d’eux passablement éméché tenait sa casquette pressée contre sa poitrine et récitait des vers en anglais. La serveuse était allée se coucher et le patron s’occupait du service.
« A quelle heure vient-on vous chercher demain matin ? demanda-t-il en observant son hôte avec une curiosité suspicieuse.
— On ne vient pas me chercher. »
L’hôtelier haussa les sourcils, son regard devint méfiant.
« Vous savez qu’aucun véhicule normal ne peut atteindre la forteresse. Il faut un tout terrain. Mais peut-être n’avez-vous pas annoncé votre arrivée, dans ce cas on peut téléphoner, Tanguy ou Varlaam viendra vous chercher.
— Merci, je monterai à pied.
— A pied ! Vous en aurez pour trois bonnes heures !
— Tant mieux. J’aime aborder lentement un nouveau lieu où je vais m’installer. Je partirai au lever du soleil. »
Il monta dans sa chambre et alla directement s’accouder à la fenêtre. S’il avait très fortement senti au cimetière, tout à l’heure, qu’un fil ténu mais indestructible reliait, par-delà la mort, Samuel Leber à la forteresse — comme si la volonté immortalisée du défunt architecte recréait sans fin la réalité de son œuvre —, il était, lui, sans liens et sans références, seul dans cette chambre à peine réelle, coupé de tout par une nuit immense et infranchissable. Regardant sans les voir les pavés inégaux de la ruelle au-dessous de lui, il laissa la nuit le porter très au large de la conscience sur la barque des heures qui sonnaient au clocher du bourg.
Le jour le trouva ainsi, debout à la fenêtre, dispos comme après un profond sommeil.
Il quitta le monde d’en bas sous un ciel sans nuages. Une chaussée au revêtement défoncé s’engageait dans la faille humide d’une cluse. Elle longeait jusqu’à sa source un torrent clair au lit moussu mais, bien avant, les flancs se resserraient et, à l’entrée d’une gorge, un moulin ruiné achevait de disparaître sous les fougères et les ronciers. La roue tournait encore, irrégulièrement et en grinçant, un grincement qui résonnait dans la rumeur du torrent comme une supplique humaine. Là, le chemin creusé d’ornières devenait bourbeux et, ainsi que l’avait précisé l’hôtelier, impraticable aux véhicules ordinaires. Il fit halte près du moulin, s’assit sur une pierre et regarda l’eau s’engouffrer en bouillonnant entre les parois de la gorge. La supplique, derrière lui, devint semblable à une prière, toute la nature alentour élevait une prière muette et le grincement des aubes, par sa fragilité hésitante, en devint plus humain. Il empoigna sa valise et se remit en marche.
Le chemin s’élevait et franchissait en lacets serrés une éminence rocheuse pour redescendre vers le torrent maintenant tumultueux et étroit, hérissé de blocs sombres où s’accrochaient des pins rachitiques. Dès lors, les feuillus firent place aux conifères et il s’engagea sur un plateau bosselé de roches. Puis ce fut à nouveau la forêt et le chemin devint une fondrière. Des traces fraîches signalaient le récent passage d’un véhicule de grande taille. Il sauta sur le talus, poursuivit sa route sur un tapis d’aiguilles sèches et, bientôt, il déboucha dans une clairière où quatre hommes se trouvaient assis sur des grumes.
Quand ils le virent surgir du bois avec sa valise, les bûcherons eurent un sursaut d’étonnement. Il les salua d’un signe de tête, l’un d’eux se leva et vint à lui. Il tenait un sandwich et une bouteille de vin.
« Où allez-vous comme ça ? demanda-t-il d’une voix rauque qu’il semblait ne pas avoir utilisée depuis longtemps. Ce chemin ne conduit nulle part.
— Je vais à la forteresse, je rentre au service de Mme Leber.
— A la forteresse ? A pied ? Que fout cet animal de Tanguy ? Il aurait pu venir vous chercher. Vous m’avez l’air d’un drôle de bonhomme… »
Les trois autres forestiers s’étaient levés à leur tour et les avaient rejoints, curieux et hilares.
« Fiche-lui la paix, il a le droit de se promener, dit le plus petit des quatre. Elle vous a engagé pour quoi, la Grekova ?
— Elle a besoin d’un secrétaire. »
Une lueur malicieuse s’alluma dans l’œil du petit. Son compagnon tendit la bouteille de vin au nouveau venu.
« Eh bien vous n’allez pas rigoler tous les jours, là-haut. Ma foi, il y a bien Félicité et Tanguy, mais Tanguy n’est pas tout à fait un être humain et Félicité est une sainte. Quant aux autres domestiques, ils viennent de loin et ne parlent pas un mot de notre langue. »
Après ces paroles, un silence s’installa et, à sa stupéfaction, les quatre bûcherons se signèrent rapidement.
« Combien de temps faut-il pour atteindre la forteresse depuis ici ? demanda-t-il.
— Une heure et demie, deux heures, ça dépend à quelle allure vous marchez.
— Il peut aussi prendre la benne… » dit avec une grimace sarcastique celui qui n’avait pas encore parlé.
Comme il ne comprenait pas, l’homme s’expliqua. Afin d’éviter de gravir le col pour transporter les matériaux de construction les plus fragiles pendant la restauration de la forteresse, Samuel Leber avait installé un téléphérique à deux bennes ouvertes, manœuvrables électriquement. En plus des matériaux, deux personnes pouvaient prendre place dans chaque benne, à condition de ne pas être sujettes au vertige car, en son plus haut point, le câble se tendait à plus de cent mètres au-dessus du torrent.
« Après la restauration de la forteresse, on n’a plus utilisé le téléphérique qu’une fois par mois pour monter les vivres, précisa encore le bûcheron. Un soir, Dieu sait ce qu’il leur est passé par la tête, Leber et sa femme ont décidé de descendre en benne. On ne sait pas exactement ce qui est arrivé, le frein moteur a dû lâcher, la benne est partie en chute libre. Leber a paniqué, il a sauté en marche et s’est tué sur les rochers. La benne est allée se fracasser contre le béton de la guérite et la Grekova avec elle. C’est comme ça qu’elle a perdu ses jambes. »
Les trois autres ne disaient rien, ils hochaient la tête en regardant leurs pieds, l’idée de la fatalité les rendait inexpressifs. Un nuage cacha le soleil, l’air devint plus vif. Il parcourut du regard l’étendue des gaulis sectionnés à la tronçonneuse et la machine bourbeuse, préhistorique, qui servait à arracher les souches.
« Maintenant, le télé fonctionne à nouveau, ajouta le bûcheron après un silence et en le regardant fixement.
— Je crois que je monterai à pied… » dit-il avec un sourire.
Saisissant sa valise, il remercia et se remit en route. Dans la limpide immobilité de cette matinée sans brise, une attente pesait de la cime des arbres aux racines ; non point l’attente d’un événement quelconque, mais celle d’un surgissement mystérieux prévu dans la continuité de la matière. Il n’eût pas été étonné que le sol s’ouvrît tout à coup devant lui ou que l’un des plus hauts sommets s’affaissât sur lui-même. Il ressentit cette attente à la fois comme une fulgurance et une exclusion, une exclusion nostalgique, presque douce, car elle attestait que, par-delà sa conscience, dans l’humilité de sa solitude galactique, l’homme participe intimement de tout ce qui est advenu et de tout ce qu’il adviendra. Il ferma les yeux sans cesser de marcher et ne les rouvrit qu’en entendant la voix du petit bûcheron qui clamait :
« Il faut que vous sachiez : dans la région, on ne parle pas de la forteresse mais du blockhaus. Bon courage ! »
L’accident datait de l’année 1977. Il se demanda qui s’était occupé de la réfection du téléphérique, qui en avait pris la décision. Sous la poulie de la benne immobilisée par une cale de fer, le câble gros comme un bras filait au-dessus du vide vers la forteresse à présent éclairée de plein fouet par le soleil déjà haut. Cet appareillage scrupuleusement entretenu — la poulie luisait de graisse, un caisson étanche protégeait le treuil électrique, la cale de la benne, avec ses tampons de caoutchouc, révélait une utilisation régulière — semblait destiné à quelque cérémonial d’initiation au vide. Il se pencha sur la profondeur fraîche de la cluse ; loin en contrebas, le fil ténu du torrent jaillissait de la roche nue comme une orfèvrerie d’argent. S’adossant au cabanon du téléphérique, il examina pour la première fois la forteresse attentivement.
De l’ancien château fort ne subsistait qu’un squelette : un donjon, une tour flanquante vertigineusement agrippée à la falaise, une façade brune, quelques pans de remparts et des bastions. A partir de ces restes médiévaux, Samuel Leber avait édifié sa propre forteresse. Dans les nombreuses études consacrées au travail de l’architecte, on affirmait qu’au début de sa carrière il considérait déjà l’humanité comme une espèce en sursis. Cela exprimait une vérité multiple, en sorte que ses détracteurs prétendirent que les ouvrages défensifs qu’il bâtissait lui servaient d’abri symbolique contre sa propre mort ; à quoi ses partisans rétorquaient que l’égocentrisme forcené du génie peut offrir parfois à la collectivité des richesses qu’aucun altruisme ne parvient à concevoir. Pendant plus de quinze ans, avec pour tout matériau un nouvel alliage de béton armé précontraint au carbone de tungstène, l’acier trempé et le verre, respectant toutefois dans ses formes essentielles l’évolution historique des œuvres militaires du Moyen Age à Vauban, Samuel Leber inséra dans une gangue de ruines authentiques ses obsessions et ses terreurs. Mais tout répondait-il à une nécessité ? Cette infrastructure ultramoderne sous son pansement de vieilles pierres, cet organisme complexe et mort frappé à plomb par la lumière de l’été exprimaient-ils la vérité intérieure de l’architecte, émergeaient-ils d’une conscience douloureuse ou d’une folle manie ?
Il enjamba la benne qui se balança légèrement entre ses cales. Le soleil montait et un dais de clarté se tendait sur la cluse. Il poussa en avant le levier de commande. Rien ne se produisit, il regarda au-dessous de lui et, pris soudain de vertige, il battit en retraite, sauta hors de la benne et poursuivit sa marche.
Un chemin de rocaille crayeuse grimpait jusqu’au col en lacets serrés, puis poursuivait son tracé à flanc de coteau sur l’adret de la cluse, entre forêt et falaise, pour atteindre enfin la forteresse. Il ne ressentait aucune fatigue, il montait maintenant depuis plus de deux heures, sa valise ne lui pesait pas ; à mesure qu’il s’élevait et que le monde d’en bas se retranchait dans ses brumes grises, son humeur devenait plus joyeuse. Sur le bas-côté du chemin, à présent aussi large qu’une chaussée ordinaire, s’entassaient des plaques de goudron ; ça et là, l’une d’elles encore rivée au macadam révélait l’existence improbable d’une route autrefois parfaitement revêtue. « Nous n’aurions pu commencer les travaux sans construire auparavant une vraie route capable de supporter le poids des engins », lui avait expliqué Olga Grekova-Leber lors de leur première entrevue. « Quand il a considéré que la forteresse était achevée, mon mari a ordonné que l’on détruise cet accès trop facile au domaine pour ne laisser qu’un mauvais chemin. Les ouvriers ont travaillé six mois sans rien y comprendre et la nature a fait le reste. »
Bien avant le sommet du col, il se heurta à une haute palissade de grillage qui semblait se poursuivre fort loin d’un côté et de l’autre du chemin. Le portail était fermé. Une centaine de mètres plus loin, une Range Rover stationnait sur le talus. Il fit quelques pas le long du grillage, puis tenta en vain de forcer le portail. Alors une voix autoritaire le fit reculer.
Il se retourna, ne vit personne. Une bourrasque dévala le col, s’engouffra dans les mailles de la grille, les pins tournoyèrent sur eux-mêmes, puis s’immobilisèrent et ce fut le calme plat. Il chercha du regard autour de lui et la voix retentit à nouveau, plus impérieuse.
« Il ne faut plus bouger, monsieur. Restez où vous êtes et écartez les bras. »
Il hésita, posa sa valise et fit ce qu’on lui commandait. Tout d’abord, personne ne se manifesta. Il tourna la tête pour regarder du côté de la cluse et de la forteresse, proche à présent. Rien ne bougeait, hormis les choucas qui voletaient en criant au-dessus des remparts. Puis un homme sortit prudemment de derrière un rocher et s’approcha de lui.
« Je vous ai reconnu, vous pouvez baisser les bras », dit-il d’un ton morne. La crosse glissée sous l’aisselle, il portait sur l’avant-bras un fusil de chasse. « Pourquoi êtes-vous monté à pied ? Je serais venu vous chercher. Il ne faut pas se moquer de nous, monsieur.
— Je ne me moque de personne, j’avais envie de marcher, voilà tout », dit-il avec humeur. Il venait de reconnaître Tanguy, l’homme de peine d’Olga Grekova-Leber, un ancien forestier. Du canon de son fusil, celui-ci indiqua une direction imprécise qui désignait la trajectoire du grillage dans son ensemble.
« Ça, c’est la grande muraille, dit-il. Il n’y a que deux passages, celui-là et un autre à vingt kilomètres d’ici. Chaque mois, je longe la Grande Muraille pour vérifier s’il n’y a pas de déchirures dans le treillis. »
Le forestier ouvrit le portail, lui fit signe de passer, referma et se dirigea vers la Range Rover. Il souleva le hayon, glissa avec une douceur insoupçonnable le fusil dans une gaine de cuir.
« Vous deviez arriver demain. Mme Leber va être surprise, elle déteste les surprises. »
Il sauta dans le véhicule, ouvrit la portière du passager.
« Si vous n’y voyez pas d’inconvénient majeur, je vais continuer à pied. »
Il se mit en marche sans attendre de réponse, dépassa la Range Rover dont le moteur vrombit derrière lui. Il entendit les portières claquer et un rire bref retentit.
« A vos pieds, monseigneur ! » rugit Tanguy en démarrant brutalement.
La voiture dépassa le marcheur en patinant dans la caillasse, puis disparut, réapparut, disparut encore indéfiniment de virage en virage jusqu’au sommet du col où elle s’engagea à toute allure sur le tronçon de route droite qui longeait l’adret de la cluse jusqu’à la forteresse.
Prévenue par le forestier, Olga Grekova-Leber attendait son nouveau secrétaire dans la cour intérieure de la forteresse, vaste esplanade carrée délimitée par les bâtiments d’habitation et à laquelle donnait accès une poterne ouverte dans le rempart.
L’infirme se trouvait sur le perron, droite et hautaine dans son fauteuil roulant, vêtue de rouge, les yeux cachés par des lunettes noires qu’elle ne retira pas quand il parvint devant elle.
« Je ne vous attendais pas avant demain, dit-elle tandis qu’il gravissait les escaliers du perron, mais cela n’a aucune importance, soyez le bienvenu. Tanguy ira cet après-midi chercher le reste de vos bagages. »
Il ne voyait pas ses yeux derrière les verres foncés, mais il sentait qu’elle l’observait attentivement et il se rendit compte qu’il était en sueur.
« Je n’ai pas d’autres bagages, dit-il, je n’ai pas besoin de grand-chose. »
Il posa sa valise, se débarrassa du sac à dos et épongea son front. Son regard alla furtivement vers les jambes de l’infirme que l’atrophie n’avait pas vraiment déformées mais affinées, fragilisées, et qui ressemblaient à des jambes de fillette. Elle ne portait pas de bas et, détail imprévisible, ses pieds étaient chaussés d’escarpins dont elle tenait les talons coincés contre les plaques métalliques des appuis-pieds du fauteuil, comme sur des étriers. Il déposa le sac à dos précautionneusement, un tintement métallique se fit entendre.
« Serait-il indiscret de vous demander ce qu’il contient ? » dit la femme avec une curiosité non feinte. La permanente position assise et le maniement du fauteuil roulant l’avaient un peu voûtée, elle se tenait dans cette posture caractéristique chez les infirmes de tempérament actif dont on a toujours l’impression qu’ils cherchent à se lever.
« Ce sont mes instruments de prospection. Si mon travail me laisse un peu de temps, je compte prospecter dans la région. »
Elle souleva ses lunettes noires sur son front et, comme lors de leur premier entretien, il fut frappé par la tristesse mélancolique de son regard qui contrastait tant avec le hiératisme du visage.
« C’est vrai, vous étiez géologue, dit-elle doucement en l’examinant des pieds à la tête. Vous êtes plus grand et plus athlétique que je ne vous imaginais. Malgré votre âge, vous ne feriez qu’une bouchée de Tanguy si vous étiez plus fourbe. La fourberie est supérieure à la force physique et parfois même à l’intelligence. »
Il se demanda ce qu’elle voulait dire mais ne posa pas de question. Elle tira un paquet de cigarettes d’un réticule qu’elle tenait coincé entre sa cuisse et l’accoudoir du fauteuil et lui en offrit une. Il dit qu’il ne fumait pas, elle approuva avec un sourire un peu moqueur. Pas un souffle d’air ne circulait dans la cour. A présent, ses reins le faisaient souffrir, il se sentait tout courbatu et la fatigue pesait sur ses épaules. La femme alluma sa cigarette, exhala longuement la fumée ; elle ne paraissait pas se rendre compte que l’homme qui se trouvait devant elle venait de marcher pendant près de quatre heures. Il jeta un coup d’œil intrigué sur les bâtiments qui entouraient la cour ; ils étaient d’une sobre géométrie, dans un style classique dépouillé et rien ne laissait soupçonner que le revêtement de pierre dissimulait l’inaltérable construction de Samuel Leber.
« La restauration de la forteresse a duré quatorze ans, c’est l’œuvre maîtresse de mon mari, dit l’infirme en surprenant la curiosité de son secrétaire. Quatorze ans, mon ami… Le temps que nous avons vécu ensemble a été tout entier consacré à cela et à quelques ouvrages du même genre disséminés à travers le monde… »
Elle regarda le ciel comme si ces années, pareilles à des nuages poussés par le vent, passaient à vive allure au-dessus de leur tête. Ses mains, longues et musclées, restaient posées sur les roues du fauteuil, comme si d’un instant à l’autre elle allait se propulser à l’autre extrémité du perron ou dégringoler la rampe métallique qui descendait dans la cour. Elle secouait les cendres de sa cigarette dans une boîte d’argent posée sur ses cuisses et dont, chaque fois, elle refermait méticuleusement le couvercle. Le soleil se trouvait maintenant presque au zénith et la lumière que réverbéraient les dalles de la cour était si éblouissante que le secrétaire devait placer sa main en visière pour examiner les lieux. Olga Grekova-Leber se souleva sur les accoudoirs, rejeta d’un mouvement de tête une mèche qui pendait sur son front à peine ridé et un sombre rayonnement émana d’elle.
« Vous verrez qu’ici, mon ami, tout est absolument aberrant et absolument vrai. Cette forteresse est pareille à un iceberg, sa partie visible représente à peine plus d’un dixième de sa totalité. Quand mon mari l’a achetée au comte d’Ott, ce n’était qu’un amas de ruines enfouies sous les ronces où il prétendait avoir joué pendant une partie de son enfance. Il affirmait que son destin d’architecte lui avait été révélé précisément alors qu’il courait entre ces murs, mais je n’ai jamais cru à cette histoire parce que la forteresse est beaucoup trop éloignée du bourg pour que des enfants puissent y grimper seuls. En revanche, il est vraisemblablement venu plusieurs fois ici avec son père et je crois volontiers que son obsession des ruines date de cette époque. Il ne s’agissait ni de mélancolie ni de romantisme — personne ne fut moins romantique que Samuel —, mais les ruines lui inspiraient une horreur absolue, elles éveillaient chez lui un sentiment de désolation et bien davantage que le passage du temps, il lisait en elles la succession des violences, le feu, le sang, le meurtre. Mon mari considérait les pierres comme des corps vivants, fragiles, vulnérables, menacés comme nous par la dégradation. Après Le Corbusier et Frank Lloyd-Wright, Samuel est certainement l’un des plus grands architectes du béton, un théoricien du béton. Et pourtant, croyez-moi, il détestait cette matière, il ne lui trouvait précisément aucune vie, seulement de la solidité, une robustesse neutre, ni morte ni vivante, assez propre à refléter l’esprit des hommes actuels. Mais le béton est un matériau scientifique et il jugeait qu’il fallait l’utiliser comme tel parce qu’il constituait, pour l’architecte, une protection si extraordinaire que la médecine n’en découvrira jamais d’aussi efficace pour l’organisme humain : le béton peut protéger l’homme contre l’homme. Mon mari a écrit plusieurs ouvrages de réflexion et je souhaiterais que vous les lisiez, ils vous seront indispensables pour votre travail. Il pensait que si l’homme occidental découvre depuis un demi-siècle dans les sciences, la technique et la morale des trésors d’ingéniosité pour éviter que la guerre ne ravage à nouveau ses territoires, ce n’est pas parce qu’il s’assagit, mais parce qu’il sent son instinct guerrier affluer et sa barbarie exercer des poussées plus fortes à mesure qu’il la contient. Il prononce des paroles humanitaires, mais quelqu’un pense encore en lui comme Tullus Hostilius : par la paix, la ville devient sénile. Ah ! voilà Tanguy, il va vous conduire à votre chambre, vous devez être épuisé… »
Le forestier traversait la cour sans se hâter, ses pas résonnaient contre les façades, il semblait avancer sur un lac de lumière tant les dalles brillaient sous le soleil. Il grimpa l’escalier sans adresser un regard au secrétaire et vint se placer derrière l’infirme, posa ses mains sur les poignées du fauteuil en un geste possessif. Avec une étrange brusquerie, d’un mouvement puissant et précis, elle propulsa le fauteuil en avant et le forestier resta là bêtement, bras ballants. Tandis qu’elle parlait, la femme jusqu’à maintenant ne s’était adressée à personne en particulier mais, cette fois, elle retira ses lunettes et considéra le secrétaire avec chaleur.
« C’est étrange, je vous connais à peine, je ne sais presque rien à votre sujet et, pourtant, j’ai déjà une confiance totale en vous. Ceux qui vous ont précédé ici ignoraient pourquoi ils étaient venus, seul l’appât du gain les avait attirés et ce n’est pas suffisant pour supporter la vie à la forteresse. Voilà pourquoi, malgré leurs facultés et leurs diplômes, ils ont si mal réussi. Je les ai chassés après très peu de temps, tous, les uns après les autres, je les ai renvoyés au monde d’en bas sans pitié ni remords. Depuis que j’ai perdu mes jambes, voilà bientôt dix ans, vingt-deux secrétaires se sont succédé et pas un seul n’était motivé. Cinq d’entre eux sont partis volontairement après avoir affirmé qu’aucun être humain normalement constitué ne pourrait accepter de séjourner à la forteresse plus d’un trimestre. Je ne les ai pas regrettés, je ne regretterai jamais ce que l’on appelle un être humain normalement constitué. On ne peut exiger d’un homme qu’il ait un idéal, mais on peut tout de même attendre de celui qui n’en a pas qu’il le sache et qu’il ait de bonnes raisons pour ne pas en avoir. Même Tanguy a un idéal — n’est-ce pas Tanguy ? : nourrir les bêtes de la forêt, les aider à se reproduire afin que nous puissions en tuer ensuite un certain nombre. »
Étonné par ce flot de paroles, le secrétaire se tourna vers le forestier qui se tenait à présent campé sur ses jambes écartées, les mains enfouies dans les poches de son pantalon, les yeux obstinément fixés au sol. « Monsieur doit être fatigué », bougonna-t-il en relevant la tête. Leurs regards se croisèrent, celui de Tanguy contenait tant d’hostilité que le secrétaire en fut effaré. Un petit rire souleva la poitrine de l’infirme.
« Bien sûr ! Pardonnez-moi. Si je parle à tort et à travers, c’est qu’il m’arrive de rester plusieurs jours sans dire un mot. » D’une poussée sur les roues, elle amena le fauteuil jusqu’à la porte d’entrée et les deux hommes la suivirent dans un vaste hall meublé d’un seul bahut chinois bardé de ferrures et aux dimensions colossales. Un escalier à double volée s’élevait de part et d’autre de cette salle aux murs blanchis, d’une nudité monacale. Ce qui restait de la bâtisse originelle datait du xve siècle et Samuel Leber, en refondant les murs porteurs et les façades, en avait conservé le style dépouillé. Une lumière poudreuse et rare pénétrait par trois œils-de-bœuf et, en hiver, le hall restait plongé tout le jour dans la demi-pénombre. Lors de sa première visite, le secrétaire avait été reçu dans une dépendance et il ignorait tout de la configuration des lieux. Olga Grekova-Leber lui donna brièvement quelques explications. L’un des deux escaliers montait à une galerie qui reliait la partie médiévale de la forteresse, presque entièrement reconstituée à partir des plans d’archives ; l’autre menait au corps d’habitation principal où le couple Leber vivait avant l’accident. Mais à présent la femme habitait exclusivement le rez-de-chaussée et, malgré l’existence d’un ascenseur et d’une installation sophistiquée qui permettait au fauteuil roulant d’accéder aux plus lointains recoins de la demeure, elle ne montait jamais aux étages et vivait entre son appartement et la bibliothèque. Comme il allait rapidement s’en rendre compte, en pénétrant dans la forteresse le secrétaire entrait dans un univers aussi complexe que l’esprit qui l’avait conçu, mais où cependant les mobiles du bâtisseur apparaissaient partout avec la limpidité d’un exposé théorique d’une parfaite rigueur.
Olga Grekova-Leber lui donna rendez-vous pour le déjeuner. Il rejoignit Tanguy qui attendait impatiemment en haut de l’escalier mais s’arrêta au premier palier pour considérer le hall dans sa totalité. La femme n’avait pas bougé, elle le regardait monter ; quand sa main remua sur l’accoudoir du fauteuil, il crut qu’elle lui adressait un signe discret. Ils s’observèrent quelques instants, comme fascinés l’un par l’autre, puis un homme apparut silencieusement dans le hall et s’approcha d’elle. Tout de blanc vêtu, il était de type hindou et portait un plateau sur lequel s’entassaient des journaux en grand nombre. Le secrétaire suivit le forestier et, alors qu’il marchait sur ses pas dans un couloir aveugle éclairé par d’invisibles lampes dissimulées dans les lambris, un corridor qui ne relevait d’aucun style et révélait, par maints détails, l’ambiguïté de la construction, il songeait aux propos de l’infirme, et plus particulièrement à cette phrase sibylline : « Vous ne feriez qu’une bouchée de Tanguy si vous étiez plus fourbe. »