Domaine français
Parution Avr 2012
ISBN 978-2-88182-856-0
112 pages
Format: 140 x 210 mm
Disponible

Monique Saint-Hélier & Rainer Maria Rilke

« J’ai tant à vous dire, qu’un seul jour n’y suffira pas » Correspondance 1923-1926

Monique Saint-Hélier & Rainer Maria Rilke

« J’ai tant à vous dire, qu’un seul jour n’y suffira pas » Correspondance 1923-1926

Domaine français
Parution Avr 2012
ISBN 978-2-88182-856-0
112 pages
Format: 140 x 210 mm

Résumé

Berne, un bal de juillet 1923. Elle a vingt-sept ans, lui vingt de plus ; il est célébré comme l’un des plus grands écrivains d’expression allemande, mais elle, qui ignore cette langue, ne le connaît pas ; presque tout les sépare, sauf leur commune fragilité physique. Ce soir-là, assis l’un et l’autre à l’écart des danseurs, Monique Saint-Hélier et Rainer Maria Rilke font connaissance. Deux mois plus tard, ce dernier prend l’initiative d’entamer une correspondance qui perdurera jusqu’à la mort du poète, en décembre 1926.
Au fil de leur échange épistolaire, chaque correspondant retrouve en l’autre l’écho de ses angoisses et de son mal de vivre. Lui-même malade, Rilke interprète la souffrance corporelle comme l’expression d’une élection ; en donnant un sens à la dégradation physique de sa confidente, il contribuera fortement à l’éclosion du talent d’une romancière qui figurera parmi les personnalités littéraires en vue des années 1930.

Auteur·ices

Monique Saint-Hélier

 

Née à La Chaux-de-Fonds, Monique Saint-Hélier (1895-1955) s’est fait connaître comme romancière à Paris où elle a vécu à partir du milieu des années 1920 ; à plusieurs reprises, elle a dit sa reconnaissance envers, Rainer Maria Rilke, celui qui lui a ouvert les portes de la création.

Rainer Maria Rilke

Poète majeur du début du XXe siècle, Rainer Maria Rilke (1875-1926) a sillonné l’Europe et côtoyé ses élites politiques et culturelles avant de s’installer en Valais de 1919 jusqu’à sa mort ; c’est en français qu’il écrit ses dernières œuvres.

Dans les médias

« Un ouvrage qui nous parle avec force, puissance et un certain souffle, de l’homme confronté à la mort, à la disparition, à l’absence de deuil, mais qui aborde aussi avec finesse et subtilité la thématique de la relation amoureuse. »

« L'attirance réciproque d'un homme et d'une femme, avec l'amour fou de la littérature, anime la correspondance inédite (1923-1926) entre Rilke et Monique Saint-Hélier. Une communion dans la maladie y éclaire l'oeuvre du grand poète, plus européen qu'autrichien, sans passé, sans avenir, cloué, écrit-il, par un présent neutre, et celle de la plus fervente de ses disciples, palombe dont les ailes, dit-elle, n'avaient pas choisi de vivre ».

« (…) ce roman déjanté, caustique et poétique place son auteure Henrietta Rose-Innes parmi les voix les plus importantes de la nouvelle littérature sud-africaine. (…) » MOP

« Un premier livre épatant. » Catherine Simon

Extrait

 

1. Rainer Maria Rilke à Blaise Briod

 

Passagèrement : Kuranstalt Schöneck[1],

par Beckenried

Lac des Quatre-Cantons

 

ce 12 septembre 1923

 

Cher Monsieur,

 

Cette petite lettre aurait été tout plaisir, n’eût-il pas la date que j’ai dû mettre à son entrée ; celle-là m’exaspère : car c’est depuis longtemps que j’ai voulu entretenir quelque peu le souvenir que vous pourriez avoir gardé de moi, de nos entretiens, favorisés par un si charmant entourage…

Enfin, je ne vous occuperai point de toutes les causes, fâcheuses la plupart, de mon retard –, je voudrais plutôt l’effacer en vous assurant la vivacité de mon souvenir à moi ; combien de fois il m’a manqué de ne pas savoir où vos vacances se passent et si vous avez choisi l’endroit qui, tout en vous procurant un agréable repos, offre à Madame Briod la douceur et le tendre soutien que sa nature réclame.

Soyez, cher Monsieur, auprès d’elle l’interprète de mes pensées les plus dévouées et de tous les vœux que je forme à son égard.

Aura-t-elle quelque surprise à recevoir le petit volume que je mets entre ce pli ? Ayant fait de si touchants efforts de me lire, Madame Briod mérite bien d’être entre les premiers à connaître ces pages où un fragment de ma prose s’avance vers elle, dans sa langue familière[2]. Vous jugerez de la traduction[3] ; elle n’est pas parfaite, certes, mais c’est son obéissance et sa simplicité qui me la rendent presque chère.

(D’ailleurs on prépare le livre tout entier, et, à l’édition complète, on tâchera d’éviter quelques faiblesses que celle-ci comporte.)

Quant à moi, vous me voyez au régime et à la discipline pour quelques semaines ; c’est à grand regret que j’ai quitté mon Valais[4] où le raisin à présent se dore sous l’ardeur d’un soleil constant, pour un pays pluvieux et pour les exercices monotones d’une cure. Mais cela passera.

Croyez, cher Monsieur, à mes sentiments affectueux, et offrez à Madame la fleur de mon souvenir

R. M. Rilke

 

2. Monique Saint-Hélier à Rainer Maria Rilke

 

Berne ce 20 septembre 1923

41 Rue des Gentilshommes[5]

 

A

Monsieur Rainer Maria Rilke

 

« Kuranstalt Schöneck »

Beckenried

 

Monsieur,

 

Celle qui n’eût jamais osé vous écrire, ni vous dire la joie, la tendre clarté que vos souvenirs russes mirent en elle, un certain soir, chez les Reynold, osera-t-elle, cette fois, remercier le poète ? Lui exprimer toute sa gratitude et sa reconnaissance infinie ? Elle n’exagère pas. Elle peut parler de reconnaissance infinie, parce qu’elle sait bien qu’elle n’est qu’un enfant malade, de peu d’attraits pour autrui, si ce n’est pour les médecins toujours en quête de proies douces qui ne crient pas trop fort quand on leur fait mal – Et que le poète eût au cœur cette bonté de lui raconter des histoires tandis que les jeunes femmes dansaient, voilà qui lui parut une bien royale charité. Voici que ce souvenir est en elle de la couleur exactement des trois pétales de fleur qui signent Les Cahiers de Malte Laurids Brigge. Et Les Cahiers de Malte Laurids Brigge lui sont comme un frère retrouvé après tant d’angoisses, de peurs et de craintes. Et Les Cahiers de Malte Laurids Brigge posés sur ses genoux lui sont aussi comme un enfant qu’elle aurait pu avoir si un destin moins avare ne lui eût refusé tout génie.

Celle donc qui n’a que son cœur pour remercier le poète, n’a pas su lui dire avec assez d’élan, assez de ferveur toute sa reconnaissance, mais cette insuffisance-là, elle sait aussi qu’elle lui sera pardonnée

 

Celle…

 

N. B. Des vacances stupides au Rigi-Staffel[6], sous la pluie, le brouillard, à grelotter dans un hôtel vide, une montagne tragique jusqu’au cynisme et cela m’apparaît d’autant plus stupide que nous n’étions qu’à une heure ou deux de Beckenried, où près de vous, nous aurions eu tous les courages !

Pardonnez cette écriture stupide. J’ai un « stylo » neuf, qui ne veut pas m’obéir –

 

3. Rainer Maria Rilke à Monique Saint-Hélier

 

ZUR UNTEREN MÜHLE

MEILEN

LAC DE ZURICH[7]

ce 7 octobre 1923

 

Chère Madame,

 

C’étaient donc vos lumières que je contemplais tous les soirs de la terrasse de Schöneck ! Mais puisque vous étiez mal à Rigi-Staffel, combien je regrette de ne pas vous avoir écrit plus tôt : peut-être seriez-vous venue à Schöneck où on était assez bien, malgré la pluie…

Cependant n’aimant pas les regrets vains, je préfère me tenir aux espoirs. En ce moment je donne tous mes soins à celui de passer un ou deux jours à Berne vers le milieu de ce mois.

Lors de notre entrevue chez Monsieur de Reynold, vous m’aviez – ainsi que Monsieur Briod – pourvu de la toute aimable permission d’aller vous voir à la prochaine occasion ; je serais heureux de profiter de celle qui se présentera bientôt et de vous donner les heures libres de ma journée pour que vous me les rendiez sublimes et douces.

Que « Celle… » qui a su m’écrire avec tant de douceur naturelle, daigne accepter l’hommage de mon plus tendre dévouement

 

R. M. Rilke

 

P.-S. J’ajoute une petite gravure ancienne que je charge de remplacer les souvenirs de pluie et de brouillard par une image coloriée d’un beau soleil d’autrefois[8].

 

 

 

4. Monique Saint-Hélier à Rainer Maria Rilke

 

Berne ce 11 octobre 1923

41 Rue des Gentilshommes

 

A

Monsieur Rainer Maria Rilke,

à Meilen.

 

Monsieur,

 

Voici que la gravure ancienne a chassé toutes les images grises du Rigi – Et je ne veux plus savoir du « Staffel » que son auberge de bois clair et ses promenades ensoleillées, au temps où je n’étais pas encore. N’est-ce pas, qu’il apparaît adorable, toujours, le temps où « l’on n’était pas encore » ; comme si l’on ternissait les choses à les regarder vivre. –

 

Ô vous, qui êtes poète, et qui savez de toutes choses faire de la beauté, vous qui rendez aux mots leur mystère, vous qui êtes un grand magicien – comme vous serez déçu de ne trouver à la rue des Gentilshommes que ce farfadet sans âme et sans cervelle, que ce pauvre « moi » qui voudrait tant que Monsieur R. M. Rilke oubliât en chemin son génie et son art, et qu’il ne soit que l’ami exquis – inoubliable qu’il sut être un certain soir, dans un grand jardin silencieux.

Monique Briod

N. B. Cette lettre fût partie il y a longtemps déjà[9], n’étaient les « médicastres » qui encombrent ma vie d’ordres divers, brouillant toutes mes heures, et me transformant en pharmacie ambulante –

 

 

 

 

5. Rainer Maria Rilke à Monique Saint-Hélier

 

Ce jeudi, le 18 octobre [1923]

 

Madame, en chemin vers mon hôtel (qui sera le « Bellevue »[10] comme d’habitude) je m’arrête pour vous annoncer mon arrivée. Votre santé, vous permettra-t-elle de me recevoir demain ou samedi ? Vous me fixerez l’heure n’est-ce pas, tout à votre aise, j’arrange mon « programme » après avoir reçu vos indications.

 

Rilke

 

 

 

 


[1] Du 22 août au 22 septembre 1923, Rilke subit un traitement médical au sanatorium Schöneck, à Beckenried, sur la rive sud du lac des Quatre-Cantons. Cette station offre une belle vue sur le sommet du Rigi, de l’autre côté du lac, là où le couple Briod passait ses vacances, comme on l’apprend dans la lettre suivante.

[2] Il s’agit d’une première traduction, partielle, due à Maurice Betz, de Die Aufzeichnungen des Malte Laurids Brigge, parus dans leur version originale à Berlin en 1910 ; le volume, d’une centaine de pages, a été publié en juillet 1923 dans la collection « Les Contemporains » de la Librairie Stock. La traduction complète des Cahiers de Malte Laurids Brigge paraîtra en 1926 aux Editions Emile-Paul Frères à Paris.

[3] Germaniste de formation, Blaise Briod est actif dans la traduction de l’allemand en français, d’où la phrase de Rilke.

[4] Rilke s’est installé en juillet 1921 en Valais, dans la tour de Muzot, au-dessus de Sierre (commune de Veyras), mise à sa disposition par le mécène zurichois Werner Reinhart (1884-1951).

 

[5] Blaise et Monique Briod habitent à la rue des Gentilshommes (Junkerngasse) à Berne depuis 1918.

[6] Rigi-Staffel est une station sur la ligne du Rigi Bahn, train à crémaillère qui relie Arth-Goldau au sommet du Rigi, important but d’excursions dès le XVIIIe siècle. Monique Saint-Hélier raconte ces vacances dans « Souvenir de Rilke » (voir ci-après, p. ).

[7] Durant son séjour à Meilen, au bord du lac de Zurich, Rilke est hébergé par Nanny Wunderly-Volkart (1878-1962), cousine des quatre frères Reinhart (parmi lesquels le mécène Werner) que le poète a rencontrés en 1919. Elle restera la correspondante et l’amie de Rilke jusqu’à sa mort en 1926 ; voir Rainer Maria Rilke, Briefe an Nanny Wunderly-Volkart, Frankfurt am Main, Insel Verlag, 1977.

[8] Cette gravure n’a pas été retrouvée.

[9] Le cachet de la poste est du 13 octobre 1923.

[10] L’hôtel Bellevue est situé dans la vieille ville de Berne et domine la gorge de l’Aar. Détruit en 1911, il a été reconstruit deux ans plus tard, et est resté depuis une enseigne de prestige.