parution janvier 2017
ISBN 978-2-88927-380-5
nb de pages 224
format du livre 105 x 165 mm

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Yves Velan

Soft Goulag (Poche)

résumé

Dans un univers au dernier stade du capitalisme, marqué par la pensée unique et l’« in-différence », un thésard, lobotomisé comme le monde qu’il décrit, raconte une journée exceptionnelle d’Ad et Ev, un couple lambda qui obtient le privilège rare de faire un enfant, avant de se voir finalement contraint de renoncer à sa chance, trop lourde à assumer financièrement.

En parallèle, Velan emploie cette trame absurde pour mener une véritable étude sociale et confronter ses personnages à des situations échappant au cadre du « soft goulag » dans lequel ils sont enfermés.

Pour raconter cet univers qui n’est pas sans rappeler 1984 ou Le Meilleur des mondes, l’auteur use d’un style insolite, dégénéré et gauchi par la monosémie, faisant correspondre exactement la forme au propos de son récit.

Préface de Pascal Antonietti, postface de Philippe Renaud

biographie

Né en 1925 à Saint-Quentin, Yves Velan, Grand prix CF Ramuz, est interdit d’enseignement dans le canton de Vaud en raison de son engagement politique dans le Parti communiste – qu’il quittera en 1957. Pendant treize ans, il enseigne la littérature française à l’université d'Urbana, dans l’État américain de l'Illinois. Il revient en Suisse à la Chaux-de-Fonds, par hasard puis par goût.

Son premier roman, Je (Seuil, 1959), pousse aux limites la fameuse introspection romande. Barthes le qualifie d’ « à la fois, roman politique et langage d'une subjectivité éperdue ». Suit La statue de Condillac (Seuil, 1973) et Soft Goulag (Bertil Galland, 1977, Zoé poche, 2017). Velan décide après Soft Goulag d’arrêter de publier mais pas d’écrire. Peu avant sa mort en juin 2017, il accepte la publication du Narrateur et son énergumène, manuscrit devenu mythique à force d’être attendu.

LeMonde.fr

"... Soft goulag (...) se présente comme un récit de science-fiction (...) Velan y dénonce avec une économie de langue où l'absence d' "intention littéraire" donne par contraste un vertige démonstratif, le triomphe de la réduction de tout à une signification univoque, augurant toutes les manipulations. Prémonition d'un modèle répressif en voie de réalisation généralisée quarante ans plus tard. (...)" Philippe-Jean Catinchi

Lire l'article entier ici

24 heures

"... [Yves Velan raconte] avec une écriture neutre, souvent glaçante, un univers au dernier stade du capitalisme marqué par la pensée unique qui n'est pas sans rappeler 1984 ou Le meilleur des mondes. Et reste d'une actualité brûlante." C.R.

fabula

"...un style insolite, dégénéré et gauchi par la monosémie, faisant correspondre exactement la forme au propos de son récit."

Vigousse

"... Quarante ans après sa sortie, cette œuvre extraordinaire, singulière et dérangeante n'a malheureusement pas vieilli. Qu'il nous soit encore possible d'en saisir l'incroyable intelligence satirique reste, malgré tout, assez encourageant." Sebastian Dieguez

Le Temps

"... Dans une société sans mémoire et dans un futur indéterminé, la vie des individus est réglée pour le bien de tous par des lois qui ont été votées et ne sauraient être remises en question. Un système de dette et de vérification maintient une docilité parfaitement intériorisée, dans une société aux hiérarchies bien établies. (...) En quarante ans, ce "goulag mou" n'a rien perdu de son efficacité et de sa justesse. (...)" Isabelle Rüf

Le Courrier

"...anti-utopie grinçante (...), [l]e récit intrigue, fascine, tandis qu’on détecte son humour et qu’on se fait à son style pénible, administratif, parfait écho de l’esprit d’une société mielleusement totalitaire où tous jouent avec bonheur le jeu du «social», terrifiés à l’idée de s’en distinguer, abreuvés de messages et d’appels publicitaires. (...)

Au cours du roman se dévoilent (...) les subtilités d'un monde régipar des relations policées, dans une horizontalité motifère où toute verticalité, de soi ou liée à la transmission, a été abolie: ni rêves ni souvenirs n'y ont leur place, pas plus que la littérature ou l'Histoire (...)

[Yves Velan] pressent ici l’instauration d’une pensée unique planétaire via la mondialisation, le règne des slogans médiatiques et politiques, le risque que font peser la croissance et une consommation effrénée sur nos ressources, l’explosion ­démographique, l’avènement d’une culture et d’une littérature soumises aux lois du marché.
Et le lecteur est frappé par sa pertinence visionnaire, lui qui vit peut-être bien, aujourd’hui, dans une forme de goulag mou où a disparu l’idée même d’alternative économique ou sociale…" Anne Pitteloud

Yves Velan parle de la conception de "Soft Goulag" (1978) au Club 44 de la Chaux-de-Fonds.

Le Blog littéraire de Philippe Renaud

"...[un] livre [d']ampleur, [d']envergure, une polyphonie où se manifeste magistralement le génie de son auteur. (...)" Philippe Renaud

"Soft Goulag" d'Yves Velan

Un article de fond à retrouver sur le blog de Philippe Renaud, postfacier du roman :

https://lebloglitterairedephilipperenaud.com/2017/01/10/reedition-de-soft-goulag/

Le Narrateur et son énergumène (2018, domaine français)

Le Narrateur et son énergumène

L’énergumène a décidé de détruire le « Monde ancien ». Son plan ? « Une conspiration fatale » où tout le monde se soulève, les assujettissants autant que les assujettis, les Blancs comme les Noirs. Il s’agit d’abolir le capitalisme, à commencer par les États-Unis. Son arme ? La littérature. Et pour la manœuvrer, le narrateur, que l’énergumène vient chercher dans la petite ville de la Chaux-de-Fonds afin de le convaincre de coopérer. Mais le narrateur est un non-violent, qui met en place une palpitante stratégie pour faire avorter les desseins destructeurs de l’énergumène.

Dernier volet du cycle romanesque de Velan, ce huis-clos cousine avec Beckett et Dostoïevski et atteste brillamment du rôle joué par la littérature aux yeux de l’auteur : une perpétuelle mise en question politique et esthétique.

Soft Goulag (1989, domaine français)

Soft Goulag

Ouvrage disponible en poche : http://editionszoe.ch/livre/soft-goulag-poche

Soft Goulag (Poche): extrait

Get a bus. ITI a fourni plus de cinquante bourses à la recherche sur le droit de naissance. Il n’y a pas cinquante personnes qui n’aient roulé une fois les bus d’ITI. Donc les fichiers d’ITI sont parmi les mieux documentés de l’État. ITI ne dort jamais ; quand le trafic passager a pris fin, quand l’heure d’extinction des lumières a sonné, les bus de fret continuent à sillonner les routes. Je remercie ITI de la bourse qui m’a été accordée. ITI m’a généreusement fourni tous les renseignements qu’il possédait sur Ad et Ev. Puis j’ai interrogé les protagonistes, ainsi que tous les autres. J’ai lu tout ce qu’on pouvait lire, afin de n’omettre aucune circonstance. Ainsi, qu’on me demande : « Quel temps faisait-il ?  » je réponds : « Brouillard givrant  », parce que j’ai consulté L’Année météorologique ; ou bien : « Comment savez-vous que les comptables font des examens ?  » ; d’abord tout le monde le sait ; ensuite le fait est certifié par l’Annuaire des comptables. Il n’y a donc pas d’imagination possible. Devise d’ITI : « We help people become neighbors  ».

 

 

 

Quant au choix même d’Ad et Ev, il découle de plusieurs normes, comme il s’entend. Ma thèse se faisant à l’université de l’Illinois, je dois choisir dans l’Illinois le cas de couple qui fera les protagonistes. Il faut seulement mentionner, chaque fois qu’il est nécessaire, les particularités qui sont propres à l’Illinois et à lui seul ou à lui et à quelques autres ou même si elles étaient propres à lui et un grand nombre, il faudrait les mentionner. Or, depuis que la loi a été votée, quelque quatre cents couples dans l’Illinois ont été élus à donner naissance. Néanmoins je ne pourrais remonter au-delà de la révision, puisque nous avons conclu à la caducité. Le nombre des couples est ainsi ramené à quatre-vingt-six. Mais alors, lequel choisir des couples à Effingham ou Moline ou Bloomington ou Chicago que le tirage a favorisé ? La norme est qu’ils sont tous particuliers sans être en rien singuliers. Il s’ensuit que tous sont également pertinents, de là s’ensuit que je peux choisir Ad et Ev à Urbana, où j’habite. Donc les renseignements que la thèse organise en récit sont de première main. Ad et Ev habitent à Urbana, comté de Champaign, au 10015 de la rue de la Prairie.

Ad est employé à l’«  Illinois Accounting Division » de Kankakee, comté de Belleville.

Au temps où ils étaient ami et amie quotidiens, Ad et Ev s’appelaient volontiers « Adam et Eva  », selon notre dicton du Middle-West : «  Adam et Eva furent le premier couple  ». Mais loin de penser qu’ils se donnaient de l’importance, chacun y reconnaissait le signe choisi par eux de leur intimité. Et certes, à peine installés, ils furent entourés d’autant d’estime que n’importe lequel des amis voisins.

Leur vie est donc parfaitement régulière. Il faut donner, sur ce point, une des précisions que nous avons annoncées : la durée de travail dans l’Illinois est un peu supérieure à celle des États de l’Ouest-Moyen. L’horaire d’Ad s’étend de 11 AM à 3 PM, avec une demi-heure pour le déjeuner. Le trajet d’Urbana à Kankakee est bref : il n’excède pas deux heures. Mentionnons encore une caractéristique propre à l’Illinois : son temps d’électricité est plus long : elle peut être mise avant 8 AM jusqu’à 10 PM, avec une tolérance d’un quart d’heure. Objectera-t-on que cette remarque est superflue, dans un récit-écrit, soumis à la loi de concision ? Mais la concision a-t-elle cours dans un cas où il faut signaler une différence ? Son omission serait source de perplexité, écueil bien plus regrettable. Y a-t-il quelque raison de ne pas mentionner cette particularité ? laquelle n’en est pas une, puisqu’elle est légale et officielle. Elle n’étonnera qu’un habitant de l’Idaho ou de la Bavaria. La perplexité serait plus grande encore si je ne la relevais pas. Car une fois ou l’autre je serai amené à dire, par exemple : «  Ad et Ev éteignirent, parce qu’il était 10 PM.  » Ou : « il était 10 PM, donc Ad et Ev éteignirent ». Le reproche d’être surpris s’ajouterait au reproche d’omission, j’aurais retardé, pourrait-on me dire, la mention d’une différence, qui prendrait dès lors quelque air de bizarrerie. D’ailleurs le cas n’est pas unique : il en va de même dans le Colorado, la Californie et tous les états vacanciers. L’Illinois sans doute n’appartient pas à cette catégorie. Il est même l’un des États les plus grandement bâtis, on n’y voit pas un mètre carré qui soit inactif. Au fait, les habitants de l’Illinois ont trois jours de vacances de moins que les autres partenaires de l’Union. Ceci donc compense cela et leur plus long temps d’électricité ne causera aucun étonnement. Et ceci encore, que j’ai dit, mais dont je ne supposais pas l’utilité d’argumentation : leur temps de travail est légèrement supérieur. Quant à Ev, elle finit son ménage à midi et elle a le café commun de 1 ½ à 3 PM. Ses amies les plus fréquentes sont Meg et Bev.

Bev a les cheveux noirs. Mais tout le monde connaît au moins une femme qui est dans le même cas.

Il y a deux jours par semaine où Ad et Ev ne regardent pas la Télévision normale. Ces deux soirs, Ad les consacre à son cours de perfectionnement (mais il ne viendrait à l’idée de personne qu’il s’agisse d’une Télévision anormale !) En effet, bien que mariés depuis longtemps (ils ont ratifié leur amitié quotidienne quand ils avaient lui dix-neuf ans et elle dix-sept), ils sont jeunes et leur chance d’enfant est intacte. La loi de déclin ne joue pas encore contre Ad, son ardeur à l’amélioration et ses espoirs ne sont pas diminués. En outre sa première promotion est intervenue après sept ans, donc tôt : il a monté de Chicago à Kankakee et son salaire de 12%. Il peut escompter que, dans deux ou trois ans, il aura obtenu son nouveau diplôme et montera alors à Urbana ; et il n’est pas exclu qu’il devienne un non-universitaire de l’Université ; il n’apprendra pas l’écrit, son salaire sera peu majoré mais son activité plus diverse et de responsabilité accrue. L’Université est ainsi son variable de chance propre à chaque comté. Afin de conclure avec l’espérance, Ad, au moment où commence cette histoire, se trouvait au sommet de son développement. Son violondingre est la photographie et il est membre des «  Amis du Vert  » : un dimanche au moins par mois, il va avec Ev, des amis voisins parfois, à Robert Allerton Park. Et le reste à l’avenant, faisant d’Ad quelqu’un d’absolument spécifique dont rien n’est particulier.

Dans leur habitation, les deux étages sont distribués ainsi : au premier, les deux chambres et la salle de bains ; au rez-de-chaussée, un seul espace pour la salle de séjour et la pièce à manger. La frontière est indiquée, à raison d’un tiers deux tiers, par le bloc de la machine à chauffer, surmonté par le buffet suspendu. Horizontalement, le plan de la table prolonge le plan de la machine. Le téléphone est sur le plan, ainsi Ad l’a à portée de la main.

Ils sont vérifiés à 8 AM.

Leur dette est de 23 000 $. Ev a les pommettes hautes.

La date de l’histoire se déduit simplement : puisque le récit a pour objet les péripéties de l’élection, nous sommes le jour du tirage, soit le 18 novembre. Et, comme dans l’Illinois les salaires sont payés le 21, les trois jours de rappel de la dette débutent ce même jour. L’hiver était hâtif. On peut dire que l’histoire commence à l’instant où Ev annonça :

— Vos œufs sont prêts.