parution mars 2012
ISBN 978-2-88182-710-5
nb de pages 200
format du livre 105 x 165 mm
prix 10.00 CHF

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Jean-François Duval

L'Année où j'ai appris l'anglais

résumé

«  À Cambridge, j'’ai été un autre, un type que je n’'avais jamais été et qu’'il m’'est arrivé d'’admirer : ce type a existé quelques semaines en tout et pour tout, puis il a disparu. »

Nouvelle édition: https://editionszoe.ch/livre/un-amour-anglais

 

biographie

Ecrivain et journaliste, né à Genève, Jean-François Duval mêle subtilement les genres dans ses livres : la fiction romanesque, l’écriture voyageuse, le récit intimiste, l’interrogation amoureuse et philosophique. Il est notamment l’auteur de Boston Blues (Phébus, 2000, prix Schiller), Buk et les Beats (Michalon, 1998), Et vous, faites-vous semblant d’exister ? (Puf, 2010). Il sort tout prochainement Enquête sur Kerouac et la Beat Generation (Puf, 2012). 

Philosophie

"Education sentimentale, exploration de tous les possibles, le roman de Jean François Duval traduit à merveille ces instant où la vie n'est qu'une suite d'éblouissement et de sons"

Vigousse

" Les mots du Genevois Jean-François Duval ont le son d'un bon vieux vinyle où le rock de la jeunesse se mêlerait au blues de la nostalgie.")

Tribune de Genève

"Avec délicatesse, Duval nous entraîne dans l'Angleterre des sixties, parvenant à restituer parfaitement ce climat de liberté souveraine et d'expérimentation qui régnait à l'époque, mélange de douce mélancolie et de violence sourde, de grâce et d'exaltation. Composé d'une centaine de brefs chapitres, qui se lisent comme on écoute une chanson, portés par une musique à la fois entraînante et secrète, L'année où j'ai appris l'anglais résonne longtemps dans les mémoires et laisse sur la peau des frissons qu'on avait oubliés".

Un amour anglais

Printemps 68. Les Beatles et les Stones font vibrer la planète. La contestation bouillonne à Paris. À Cambridge pour apprendre l'anglais, Chris, dix-huit ans, révolutionne sa propre vie. Il explore les dédales de la ville estudiantine, rencontre Harry le fragile colosse, Simon l'amateur de voitures anciennes, Mike le compositeur de protest songs. Et surtout Maybelene, brillante, élégante, irrésistible.

La Voix fantôme (1993, domaine français)

La Voix fantôme

L'Année où j'ai appris l'anglais: extrait

 

1

 

 

Un an avant qu’Armstrong n’aille sur la lune, j’ai failli mourir. Nous avions découvert l’Ecosse, nous revenions vers Cambridge. La radio jouait « Lady Madonna » des Beatles et « Guitar Man » d’Elvis. À la sortie d’un tournant, la Mini Cooper a quitté la route, défoncé un muret de pierres et s’est retournée. Simon avait trop serré son virage. J’ai pensé, voilà, c’est maintenant et c’est comme ça, j’ai dix-huit ans et je vais mourir. Ça a duré une éternité. J’entendais la tôle se froisser de plus en plus. La Mini n’en finissait pas d’être rejetée d’embardée en embardée, le mur partait en éclats, diffusait ses cailloux en tous sens, une explosion, un vrai big-bang en réduction. On s’est éjectés, Tim se tenait le ventre, Simon jurait, moi, sans ressentir aucune douleur, j’ai vu du sang jaillir de mon bras. Je n’étais pas tout à fait sûr d’être encore vivant. Dans le pré, à la sortie du trou qu’elle avait rondement creusé dans le muret, la Mini ressemblait à une boîte de conserve compressée. Une ambulance est arrivée comme un cadeau surprise sur cette route isolée et déserte. Envoyée par qui ? On n’a jamais su. On nous a emmenés, sans nous faire l’honneur de la sirène, à quoi bon, route béante, ouverte sur l’enfer ou le paradis. Piqûre antitétanique, bandages. Simon s’excusait et s’excusait encore, c’était sa faute, il n’aurait pas dû céder à son démon familier, prendre tant de risques dans les virages. J’ai pensé que j’étais ressuscité ou que j’avais conclu un pacte amical avec le diable. Si j’étais mort, j’avais une nouvelle vie devant moi.

 

À Paris, l’émeute sourdait. Nous n’en savions évidemment rien. C’était avril 1968.

 

 

2

 

 

Je vivais depuis trois mois chez les Smith, une bonne dame et son dentiste de mari, la soixantaine, qui avaient  beaucoup bourlingué, connaissaient presque tous les pays de la planète, au point que nous en avions fait un jeu à l’occasion des repas : j’énumérais des noms de pays, de régions, et ils répondaient par oui ou par non… La Chine, l’Antarctique, oui, oui, bien sûr, ils étaient passés par là. Ils racontaient leurs traversées de l’Afrique en jeep, l’URSS et son armée délabrée, la nécessité de contenir les communistes au Vietnam. « Si ce domino-là tombe, c’en est fini de l’Occident ! » À dix-huit ans, j’avais l’impression de ne rien savoir et de n’avoir rien fait, et Mr Smith me le laissait bien sentir. Depuis plusieurs jours pourtant, les dieux semblaient me considérer d’un autre œil, et j’avais connu de discrètes épopées. Au fil de notre voyage écossais, Simon, Tim et moi, n’avions-nous pas dormi dans des auberges de jeunesse seigneuriales – de vrais châteaux parfois – et dans de ruisselants moulins à eau traversés de roues à aubes qui éveillaient les routards d’un crépitement de gouttelettes sur leurs visages ? À la pointe de John O’Groat, une sorcière revêche nous avait accueillis dans un bed and breakfast glacial. Tard dans la soirée, au moment de me glisser sous les draps, éberlué, j’avais senti la chaleur de trois bouillottes contre mes orteils – une bénédiction ! Accueil écossais ? avais-je songé. Au matin, alors que nous entamions eggs and bacon, mes deux compagnons s’étaient amèrement plaints d’avoir grelotté toute la nuit, « sans même une bouillotte au fond des lits » ; une fille de chambre peu dégourdie, se méprenant sur ce que lui ordonnait sa patronne, m’avait jeté un premier bon sort. Cette année-là, décidément, la chance était avec moi. Ne pas la laisser passer.