parution août 2017
ISBN 978-2-88927-457-4
nb de pages 192
format du livre 140x210 mm

où trouver ce livre?

Acheter en version eBook :
en Suisse / en France

Gertrud Leutenegger

Panique printanière

Traduit de l'allemand par Lionel Felchlin

résumé

Une éruption volcanique paralyse le trafic aérien en Europe au printemps 2010. Tandis que le ciel londonien est d’un bleu azur et que la ville se pare de mille couleurs printanières, la narratrice en séjour à Londres fait la connaissance de Jonathan, un jeune homme qui vend le journal des sans-abri sur le London Bridge. Au fil des rencontres, le récit de leurs souvenirs d’enfance – dans le presbytère de l’oncle au cœur des Préalpes pour la narratrice, chez l’aïeule au bord de la mer pour Jonathan – crée une intimité singulière entre eux. Ils se racontent peu à peu leurs blessures, leurs espoirs et leurs secrets dans un roman où passé et présent, réminiscences et balades urbaines se succèdent au gré des marées de la Tamise, jusqu’à ce que Jonathan disparaisse.

 

biographie

Née à Schwyz en 1948, Gertrud Leutenegger publie des romans, nouvelles, poèmes et pièces de théâtre depuis 1975, une œuvre pour laquelle elle a reçu de nombreuses distinctions. Après plusieurs années passées au Tessin, en Suisse romande et au Japon, elle vit aujourd’hui à Zurich. Dans son œuvre, la nature joue un rôle proche de celui qu’elle revêt auprès des romancières anglaises : une véritable inspiratrice.

Le phare

"D’une sensualité prenante, ce récit laisse entrer un monde animal et végétal – scintillement de l’eau, neige et glaces issues de l’enfance, floraisons somptueuses des plates-bandes et des souvenirs." IR

Le Temps

Le "va-et-vient entre un présent suspendu […] et un passé encore vibrant est une constante de Panique printanière. […] En de brefs chapitres qui suivent le rythme des marées, pendant que le venteux et humide printemps londonien s’installe et éclate, la narratrice retourne vers la Tamise: «Dehors, sur le quai, vite, au fleuve!» [...]. Quand [elle] ne se hâte pas vers les rives, les parcs, les étangs, les friches, elle observe son quartier, les voiles chatoyants de ses voisines bengali, la vie agitée de ses voisins, le boulanger dans sa cour, un environnement bariolé qui la rassure. […].

Panique printanière est un livre d’une grande sensualité, très visuel, le monde végétal et animal s’y invite, l’eau y étincelle, les couleurs du présent et du passé scintillent du même éclat. " Isabelle Rüf

Lire l'artice entier ici

Viceversa Littérature

"Le dernier livre de Gertrud Leutenegger, transposé en français par le travail perspicace de Lionel Felchlin, relate ce que la grande ville, surtout dans le cas de melting pot comme Londres, a de plus intéressant à offrir à ceux qui la fréquentent, ne seraient-ils que de passage. Une toile (apparemment) désordonnée d’histoires dont les bribes se rencontrent, s’entrechoquent, et, parfois, se conditionnent en une osmose créatrice: entre autres celle de la narratrice, chez qui la flânerie ressuscite des souvenirs d’une enfance passée dans une campagne catholique de Suisse centrale, et d’un SDF originaire de Cornouailles qui dit quelques pans de souvenirs épars au gré d’un rapport de confiance croissante.
Dans cet entretien, Lionel Felchlin revient sur sa traduction d’une prose aussi imprévisible que les marées de la Tamise, peut-être la véritable protagoniste du livre." Renato Weber

Lire l'entier de l'entretien ici

Le Quotidien

"La belle lecture de cette rentrée 2017. Un texte follement poétique. Un de ces romans qui enchantent de la première à l'ultime page." Serge Bressant

Matines de l'oiseleur

Une ville au bord d’un lac. Au milieu d’une baie que bordent des rangées d’hôtels, une construction en bois se dresse. Elle est la reproduction d’une tour d’oiseleur dont les montagnes alentour étaient pleines jadis. Les autorités de la ville veulent en faire une attraction touristique, dotée d’un gardien qui serait en même temps un guide afin d’expliquer aux visiteurs l’ancien dispositif de capture des oiseaux au moment des migrations.

La vie dans la tour s’effectue au rythme des livraisons anonymes et quotidiennes d’une ration toujours identique de polenta ; une règle stricte ne laisse rien au hasard, nombre de visiteurs admis, horaires. Ceux-ci, monastiques, prescrivent des sortes de matines.

L’héroïne qui obtient le poste de gardienne et avec laquelle on glisse dans le récit va peu à peu, au fil des jours, faire se lézarder ces règles. Entre cauchemars peuplés d’oiseaux et souvenirs oniriques, tout est sujet à métamorphose pour faire vivre un passé et un présent où la nature et la cruauté sont liées, comme les oiseaux et ceux qui les captent.

Traduit de l'allemand par Yves Guignard

Panique printanière: extrait

1. LOW WATER 0,68 m

En ce matin d’avril, alors qu’il régnait soudain un silence absolu dans l’espace aérien au-dessus de Londres, je me rendis à Trafalgar Square. La place était encore à l’ombre, seul Lord Nelson, perché sur sa colonne dans une solitude inaccessible, baignait déjà dans la lumière du soleil. Son tricorne avait l’air noir face au ciel d’un azur tel qu’il semblait incroyable qu’un nuage de cendres de ce volcan islandais ait paralysé le trafic aérien en Europe. Tous les bruits de la ville éveillée s’élevaient librement et pour ainsi dire triomphalement dans le vide. L’humidité de la rosée brillait sur les bus rouges. L’Angleterre était à nouveau un royaume insulaire. Au milieu de la foule, je descendis en toute hâte vers la Tamise, dans la cohue à l’entrée de l’Embankment Underground Station j’eus la vague impression qu’on m’avait fait signe, je traversai toutefois le hall sans hésiter. Dehors sur le quai, vite, au fleuve ! Le ciel étincelant du printemps projetait même sur l’eau, d’ordinaire trouble et brunâtre, une illusion bleutée. C’était marée basse, à peine une ride à la surface, les galets sur la rive dégageaient une odeur pénétrante de mer.

La tête en arrière, je levai un regard scrutateur vers l’espace aérien où dérivaient apparemment ces minuscules particules de cendre, les unes comme simple poussière de saleté, sans forme ni structure, les autres tantôt effilées comme des aiguilles, tantôt arrondies, effilochées ou déchiquetées comme des cristaux. Et d’un coup, je nous revis enfants, le Mercredi des Cendres, sur la place du village à la sortie de l’église, nous dévisager les uns les autres avec la même incompréhension que moi maintenant, les yeux fixés au ciel dans lequel seuls les oiseaux volaient. La plupart du temps, la date tombait en plein hiver, les montagnes enneigées entouraient la vallée encaissée tel un décor fantasmagorique scintillant, les flocons se transformaient en petits glaçons sur nos gants de laine, parfois seulement l’eau de fonte gargouillait déjà dans les gouttières de l’église, et au lieu de nous rendre à l’école, nous restions au milieu de la place du village et regardions notre vieillissement soudain avec stupéfaction. Nous nous étions avancés vers le chœur en longues files, les murmures incessants du prêtre devenaient toujours plus intelligibles alors qu’il répandait les cendres bénites sur les cheveux de chacun, rappelle-toi, homme, tu es poussière et tu retourneras en poussière, rappelle-toi, homme, que tu es poussière, les plus jeunes garçons se secouaient aussitôt comme s’ils étaient pris d’horribles démangeaisons ou envahis de puces, tandis que nous, les filles, nous nous tenions sous le ciel bleu de l’hiver sur la place du village et nous voyions vieillir à une vitesse inimaginable. Même si certaines d’entre nous penchaient énergiquement la tête en avant et frottaient les cendres en riant, les cheveux restaient gris. Le soir face au miroir, les cendres étaient toujours là, je dormais droite comme un i pour qu’elles ne tombent pas sur l’oreiller blanc, le futur d’une imprévisibilité grisante pouvait ainsi passer à un rythme effrayant, la racine des cheveux demeurait blême des jours durant.

Je m’étais assise sur le mur du quai, non loin des deux sphinx au bord de la Tamise. Les êtres fabuleux en bronze jetaient des reflets mats et réguliers comme s’ils étaient en ébène noir. Un sourire flottait sur leurs lèvres charnues, ils tendaient impassibles leurs pattes l’un vers l’autre, bien que l’un des sphinx fût plein d’éraflures et de cicatrices, touché par la première attaque d’aviateurs allemands sur Londres, quelques minutes avant minuit le 4 septembre 1917, comme le relevait une plaque commémorative. Des petits doubles des sphinx peuplaient les bancs du quai à proximité, les divisaient en places assises. Pour permettre une paisible intimité ou empêcher les sans-abri de dormir ? La marée montait presque imperceptiblement, baignait les galets, chassait les pigeons qui sautillaient alentour, effaçait les traces humaines et animales. Une tong incrustée dans le sable opposa une longue résistance avant d’être emportée par les flots. L’odeur de la mer s’était dissipée. Les sphinx rêvaient les yeux ouverts, leur regard scrutait la Tamise en amont et en aval, mais ils n’avaient pas connu le chaos des voiliers et des navires qui tanguaient avec leurs cargaisons exotiques. Avant même leur arrivée, les East et West India Docks avaient commencé leurs activités à l’est de la ville, et les îles Britanniques qui jadis étaient entièrement recouvertes d’immenses forêts de chênes avaient sombré dans le passé.