parution octobre 2021
ISBN 978-2-88927-939-5
nb de pages 304
format du livre 105x165 mm

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Nicolas Meienberg

Maurice Bavaud a voulu tuer Hitler

Traduit par Luc Weibel

résumé

En 1938, un projet germe dans la tête du jeune Maurice Bavaud: quitter la Suisse direction Munich pour y abattre Adolf Hitler. Mais l'entreprise échoue, Bavaud est arrêté et exécuté à Berlin en 1941, sans la moindre intervention de la diplomatie helvétique.

Quarante ans après les faits, Meienberg revient sur cette tentative d'assassinat, au fil d'un reportage haletant qui révèle les rapports troubles entre la Suisse et les nazis et raconte comment l'idéal de liberté de Bavaud l'a conduit au sacrifice de soi.

Préface de Serge Michel

biographie

Toute l'œuvre de Nicolas Meienberg (1940-1993), écrivain et grand reporter, témoigne d'un va-et-vient constant entre les cultures germanique et française. Né à Saint-Gall, il a vécu de nombreuses années à Paris et a travaillé comme journaliste indépendant à Zurich. Jusqu'à son suicide brutal en 1993, Nicolas Meienberg a déchaîné les passions, et décroché les plus prestigieux prix journalistiques, dont, en 1990, le Prix Max Frisch.

Le Monde diplomatique

"Dans la longue lignée des Suisses qui, de Jean-Jacques Rousseau à Jean Ziegler en passant par Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt, se sont évertués à bousculer l’ordre établi, Niklaus Meienberg figure en bonne place. Journaliste, écrivain, Meienberg fut un des grands noms de la presse alémanique dans les années 1970 et 1980. Il avait une plume, des idées, un regard acéré et une forte propension à « mettre le feu aux poudres ». S’il livra à ses lecteurs des reportages sur la France (son pays d’adoption), l’Amérique, l’Algérie ou le Haut-Karabakh, il se fit aussi (et surtout) le chronique irrévérencieux de son propre pays – de ses institutions, de ses mœurs et de son histoire." Anthony Burlaud

24 heures

"Écrite à la suite de la réalisation de son film «Il fait froid dans le Brandebourg» consacré à l’affaire Bavaud, l’enquête passionnante et fouillée du journaliste et écrivain suisse, parti à la recherche des témoins et des lieux quarante ans après les faits, demeure un modèle du genre. Elle met en lumière la passivité de la diplomatie helvétique, la compromission du représentant de la Suisse à Berlin, Hans Frôlicher, et la participation de la police fédérale à l’enquête allemande. De Bâle à Berlin en passant par la Bretagne où Bavaud a étudié afin de devenir missionnaire, Meienberg est allé sur les lieux où le drame s’est noué et en a retrouvé certains témoins." Gilles Simond

La Liberté

"Dans cet excellent ouvrage, le journaliste alémanique revenait sur le destin du Neuchâtelois qui projetait d'abattre le Führer. Parti en Allemagne bien que ne maîtrisant pas la langue de Goethe, le jeune homme a tenté de l’approcher, audacieusement, pour l’éliminer d’un coup de pistolet." Tamara Bongard

Le Matricule des anges

"Plumitif redouté, Meienberg était de ceux-là qui vont au bout des choses et n’’hésitent jamais à gratter là où ça fait mal. Au fil de ses rencontres avec les témoins de l’époque, l’Allemagne qu’il expose s’avère de moins en moins ragoûtante, de même que la Suisse dont le jeu, pendant la guerre, fut pour le moins ambigu. On le savait, mais ça va mieux en le disant, et en le disant bien : car Meienberg, outre ses qualités d’investigateur, se montre volontiers acerbe quand il s’agit d’épingler les petites et grandes lâchetés de ses contemporains si farouchement démocrates, et son enquête, minutieuse, prend fréquemment un tour grinçant face aux réticences plus ou moins gênées des uns et des autres." Yann Fastier

France Culture - La Salle des machines

"Nicolas Meienberg est un journaliste et écrivain suisse qui a mis fin à ses jours en 1993. Génial enquêteur, il reconstitue dans Maurice Bavaud a voulu tuer Hitler l'itinéraire d'un jeune homme natif de Neuchâtel qui, à l'âge de 22 ans en 1938, essaya d'assassiner Adolf Hitler. Bavaud fut ensuite arrêté, torturé, condamné et finalement guillotiné en 1941 dans la prison de Plötzensee à Berlin, sans que la diplomatie suisse n'intervienne pour le sauver."

Écouter Mathias Enard ici (dès la minute 28)

L'OBS

"Qu’est-ce qui a pu pousser, en 1938, un Suisse de 22 ans à vouloir tuer Adolf Hitler ? Fils d’un postier de Neuchâtel, Maurice Bavaud, visage d’ange et cœur pur, sortait tout juste d’un internat catholique en Bretagne, quand il acquit un « pistolet de dame », un Schmeisser 6.35, et partit pour l’Allemagne, bien décidé à assassiner le Führer.

(…)

A la fin des années 1970, le journaliste suisse Nicolas Meienberg a longuement enquêté sur le parcours de ce jeune homme, interrogeant ses proches, exhumant ses lettres... Une émouvante entreprise de réhabilitation d’un idéaliste en même temps qu’une mise en accusation saignante du passé de la Suisse." Elisabeth Philippe

La Désincarnation de Paris
Traduit de l'allemand par U. Gaillard et G. Musy
L'Exécution du traître à la patrie Ernst S.
Traduit de l'allemand par U. Gaillard et L. Weibel

Le Feu aux poudres (1995, domaine allemand)

Le Feu aux poudres
Traduit de l'allemand par U. Gaillard
L'Exécution du traître à la patrie Ernst S.
Traduit de l'allemand par U. Gaillard et L. Weibel

Gaspard-mange-ta-soupe (1992, domaine allemand)

Gaspard-mange-ta-soupe
Traduit de l'allemand par U. Gaillard

Mémoires d'Outre-Suisse (1991, domaine allemand)

Mémoires d'Outre-Suisse
Traduit de l'allemand par M. Picard
Le Délire général, enquête historique
Traduit de l'allemand par M. Picard

Maurice Bavaud a voulu tuer Hitler (1982, domaine allemand)

Maurice Bavaud a voulu tuer Hitler
Traduit de l'allemand par Luc Weibel
Reportages en Suisse. L'Exécution du traître à la patrie Ernst S.

En Suisse, pendant la guerre, 17 hommes furent exécutés. 17 contre des milliers, le bilan est en notre faveur. Ernst S. était un tout petit, et ce n'est pas qu'on n'en avait pas, des gros, mais c'est qu'on ne les a pas arrêtés, et le juge militaire n'est responsable que de la condamnation, non de l'arrestation. Quant à savoir qui est arrêté, d'autres en décident. Ainsi - et il faut qu'il en soit ainsi dans un Etat de droit - de même que la compétence, l'innoncence est aussi répartie.

Peter Bichsel

Traduit de l'allemand par Ph. Schwed et L. Weibel. Préface de Jean Ziegler

Maurice Bavaud a voulu tuer Hitler: extrait

Le 20 octobre Maurice se rendit de Baden-Baden à Bâle, après avoir encore un peu donné le change à ses chers cousins. Il leur dit qu’en raison de sa recherche de travail il voulait passer au consulat suisse à Mannheim. À la gare il fit enregistrer son bagage pour Berlin, prit un train dans la direction opposée et acheta le pistolet chez Bürgin. Peut-être flairait-il le piège, la mèche filait, chez les Gutterer la situation pouvait exploser d’un moment à l’autre.

Le 21 octobre on retrouve sa trace à Berlin, à l’hôtel Alexandra. Il s’annonce à la police, la Gestapo l’a vérifié plus tard, en remplissant une formule réglementaire sous son vrai nom, recherche le lendemain une chambre meublée et en découvre une à la Berliner Strasse 146, chez la rentière Anna Radke, à Wilmersdorf. Il a accepté le loyer exigé de 35 reichsmarks, dit le dossier ; et a tout de suite payé 13 RM pour le reste du mois ainsi que 2 RM pour l’éclairage. Tout cela est dans le dossier, l’enquête fut menée avec soin, il n’y a pas à dire.

Dans un allemand approximatif, à l’aide des seuls mots chambre/libre/tout de suite, il fit comprendre à la rentière Radke qu’il voulait louer immédiatement la chambre proposée. Pour la suite de l’entretien, la rentière Radke écrivit ses questions et réponses sur un papier que lut l’accusé, parce qu’il comprenait mieux les mots écrits.

C’est « vers 13 h 30 » qu’il a vu l’écriteau signalant la chambre meublée de Mme Radke. Cela aussi figure au dossier. Les auteurs du dossier, qu’on voit ici à l’œuvre, mériteraient d’être décrits, ou plutôt d’être traités biographiquement.

Plus tard, dans la chambre susdite, les autorités confisquèrent divers effets, à savoir :

1 pull-over

2 chemises

1 paire de chaussettes

1 maillot de corps

1 sous-vêtement

1 mouchoir

1 serviette

Tous ces effets étaient usagés. En outre, l’accusé avait laissé dans sa chambre plusieurs livres, entre autres l’édition française de Mein Kampf, et le livre Ma doctrine, plus des manuels de français, un plan de Berlin, plusieurs cahiers et un coupe-papier.

La rentière Radke, qui était elle aussi une personne consciencieuse, a fouillé la corbeille à papier après le départ du Suisse et y a trouvé un certain nombre de débris de papier écrit qui éveillèrent ses soupçons et qu’elle transmit à la police secrète, à savoir :

Notes sur des correspondances ferroviaires

1 curriculum vitae

Photos du couple Gutterer

1 carte postale représentant le Führer

1 carte postale représentant Frédéric le Grand

L’appartement de la rentière Radke avait un balcon. Qui est entré dans l’histoire, parce que c’est de là que Mme Radke montra à son locataire le commissariat de police compétent. Sehnse jonger Mann, dort mössen se sech anmölden ! (Vous voyez, jeune homme, c’est là qu’il faut aller vous annoncer !) Et Maurice s’est vraiment procuré la formule d’inscription et l’a remplie réglementairement. Mme Radke et son balcon ont été touchés et rendus immortels par le faisceau lumineux des enquêtes policières. Le balcon lui-même, comme la maison, fut détruit dans les tempêtes de feu qui ne devaient pas tarder à transformer Berlin, nous n’avons pas retrouvé le bâtiment, et bien sûr la rentière Radke est morte elle aussi ; effet de la guerre ou cause organique ? La question est ouverte.

Berlin dans son ensemble a bien changé depuis l’époque de Maurice. La gare d’Anhalt, par où il est arrivé, n’existe plus. Cela semble avoir été une belle gare, grouillant de monde. C’est maintenant un terrain vague, le grincement des rails s’est tu depuis longtemps, et par la fenêtre de la seule façade restée debout brillent le ciel et l’histoire de l’Allemagne.

Qu’a-t-il fait à Berlin ?

Pas question d’aller chez l’oncle Gutterer, qui avait une belle villa à Grünewald. Il a donc lu le journal et acheté des cartouches, vingt-cinq pièces, et s’est promené dans la ville. Probablement, selon le dossier, les cartouches proviennent d’un armurier de la Friedrichstrasse ; Check-point Charlie. À l’époque Bavaud pouvait circuler librement dans la Friedrichstrasse, elle n’était pas divisée entre deux pays, le Mur, effet lointain de la politique de H., qu’il voulait tuer, n’avait pas encore coupé la rue en deux. Peut-être a-t-il été au cinéma, et entendu chanter Zarah Leander, tandis qu’un autre tube était en vogue.

ADOLF HITLERS LIEBLINGSBLU-U-ME

IST DAS BESCHEIDNE E-DEL-WEISS

Il était sans doute un peu seul dans Berlin, avec sa décision et son Schmeisser 6.35 dans la poche. La ville ne semblait nullement avoir besoin d’être libérée d’un tyran, tout était propre et en ordre, monumental et généralement prospère, nulle trace de sang sur le pavé. L’ordre en personne. Avec les gentils schupos, l’élégance unter den Linden, le vieil arsenal, tout pour le mieux. Le seul élément guerrier était le détachement gardant le monument aux morts de la Première Guerre mondiale, mais le pas de l’oie y donnait l’impression presque artistique d’un ballet. Dans les journaux français qu’il achetait, on disait que H. avait sauvé la paix à Munich.

Pas de doute, il était totalement isolé.

(En ce qui concerne le sens de l’ordre, il faut ajouter qu’à son époque seul le Kurfürstendamm avait un air un peu exotique. M. Gutterer déclarait lors d’une conférence ministérielle qu’au Kurfürstendamm on observait comme toujours la présence de la même racaille oisive. Le ministre annonça, à ce propos, sa décision d’expédier en Pologne aussitôt après la guerre, dans un délai de huit semaines au maximum, l’ensemble des 62 000 Juifs vivant encore à Berlin. Il y avait un plan d’évacuation déjà au point, dans lequel le ministre souhaita voir s’insérer les efforts de M. Gutterer.)

On ne sait si Bavaud a essayé, à Berlin aussi, d’approcher H. Il n’aurait pu le faire qu’à l’hôtel Kaiserhof, où H. allait parfois prendre le thé. Selon l’historien Peter Hoffmann, il fut pendant quelque temps facile, malgré les mesures de police, d’y approcher H. Pourtant H. renonça à ses visites quand il s’aperçut que les tables voisines de la sienne étaient toujours réservées et occupées peu après son arrivée par les mêmes dames mûres, informées téléphoniquement par les serveurs moyennant un copieux pourboire.

Le 25 octobre, Bavaud, ayant lu dans le journal Le Jour que H. séjournait à Berchtesgaden, se rendit en taxi à la gare d’Anhalt et prit le train pour Berchtesgaden.

pp. 66-71