parution mars 2017
ISBN 978-2-88927-390-4
nb de pages 448
format du livre 140x210 mm

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Peter Utz

Culture de la catastrophe. Les littératures suisses face aux cataclysmes

Traduit de l'allemand par Marion Graf

résumé

À la frontière de la nature et de la civilisation surviennent ce que nous appelons des « catastrophes ». Ces phénomènes ont fasciné nombre d’écrivains de la Suisse moderne qui ont contribué à la culture de la catastrophe par de multiples scénarios d’effondrement, dans les quatre langues du pays et sous toutes les formes, poèmes, théâtre, romans, récits.

Qu’est-ce qui les a incités à se passionner pour ce thème ? Que révèle une catastrophe ? Tel est le sujet que Peter Utz étudie ici, selon une approche historique. Il montre comment la littérature fait de la catastrophe le versant sombre de l’idylle alpine : lorsqu’au XIXe siècle, il s’agira de fonder l’identité d’une nation qui se construit sans ennemi extérieur, la catastrophe prendra une valeur essentielle en forgeant la communauté de destins helvétique.

La richesse des exemples fait de ce livre une référence sur la culture littéraire de la catastrophe dans la modernité. L’art de Peter Utz est de développer la présentation des œuvres choisies par période et par thème, ce qui ouvre d’innombrables pistes de lecture. Jeremias Gotthelf et Gottfried Keller, Cendrars et Ramuz, Friedrich Glauser, Friedrich Dürrenmatt figurent parmi des dizaines d’autres écrivains. Le livre contient de nombreuses illustrations et un index.

biographie

Né à Bienne en 1954, Peter Utz est professeur de littérature allemande à la Faculté des Lettres de l'Université de Lausanne. Spécialiste de l'oeuvre de Robert Walser, il a publié un essai critique sur cet auteur, paru en allemand sous le titre "Tanz auf den Rändern : Robert Walsers "Jetztzeitstil "" (Suhrkamp, 1998) et en français : "Robert Walser: Danser dans les marges" (Zoé, 2001).

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La République des Livres

"La Suisse, doux et paisible voisin que le monde entier devrait nous envier, relève-t-il d’un Sonderfall, un cas particulier s’agissant de son rapport à la catastrophe ? Peter Utz, qui a exploré de fond en comble les littératures de son pays face au cataclysme, y répond dans un essai brillant, argumenté, convaincant comme les éditions Zoé peuvent s’enorgueillir avec ceux Peter von Matt (...). L’essai de Peter Utz déploie toute sa finesse pour nous faire entrevoir la brèche que la perspective de la catastrophe introduit entre nature et culture. La forêt protectrice en est la frontière, de même que les Alpes forment un puissant rempart au col du Gothard. Ils ne protègent pas seulement le village de l’avalanche mais, plus symboliquement, la nation des attaques extérieures. Au-delà encore, cet essai passionnant permet de comprendre pourquoi, dans le maelstrom mondialisé et le chaos européen, au risque du confort et de l’inconfort, les Suisses ont été et demeurent pour une large part un peuple de spectateurs." Pierre Assouline

Le Temps

"Publié en allemand sous le titre Kultivierung der Katastrophe (LT du 06.09.2013), il paraît, légèrement modifié pour les acteurs romands (davantage de Ramuz, entre autres). Au plaisir de l’analyse s’ajoute celui des très nombreuses citations (retraduites par Marion Graf dans sa magistrale version) et la découverte d’un vaste panorama d’auteurs suisses des quatre langues. Et celui de goûter l’ironie discrète de Peter Utz, quand il signale que la Suisse «encave scrupuleusement les catastrophes qu’elle ne peut pas entièrement sublimer»: le réacteur nucléaire expérimental de Lucens qui explose en 1969, décontaminé, sert de dépôt pour les biens culturels du canton de Vaud. «La culture, ici, a littéralement pris la place de la catastrophe.»" (Isabelle Rüf)

Le Matin Dimanche

"... Un livre nourri d'un savoir au long cours. Une œuvre intelligente, sensible et déliée où les écrivains suisses se mêlent, se répondent, propagent et répercutent leur voix comme l'écho dans les vallées alpines. Ils répandent la rumeur des scénarios catastrophe qui minent le bonheur suisse. (...) De toute cette littérature, Peter Utz déplie délicatement le sens, avec une précision d'entomologiste. À la pointe la plus contemporaine de son livre, il laisse apparaître des tendances nouvelles. L'angoisse de la catastrophe nucléaire. Ou l'inversion par laquelle la nature, longtemps puissance menaçante, devient elle-même menacée. En Suisse, les littératures de la catastrophe ont sans doute encore de beaux jours devant elles." Michel Audétat

Robert Walser: danser dans les marges

Robert Walser, promeneur solitaire, écrivain en marge dans la retraite de ses mansardes : telle est l’image que nous renvoie une légende littéraire opiniâtre.

C’est un autre aspect de Walser, encore mal connu, que ce livre veut mettre en évidence à travers l’ensemble de l’œuvre, y compris les « microgrammes » récemment décryptés : un Walser qui réagit en sismographe aux secousses et aux frémissements de son temps, en hume l’air, en partage les engouements et les angoisses, en ausculte le langage, pour tout de suite reprendre ses distances et transformer les impulsions reçues en énergie cinétique pour sa plume dansante.

C’est d’abord Cendrillon, figure marginale mais centrale à l’époque, qui conduit le bal. Puis le mouvement dansant entraîne le lecteur à travers une maladie du temps, la « nervosité », rabote au passage le massif alpin et les mythes qui l’exaltent, gambade autour des monuments de Nietzsche et de Kleist.

Partout Walser tend l’oreille à son temps, sans jamais s’en faire l’écho. Sa souveraineté littéraire et ludique prend ses aises dans le « feuilleton », ce genre marginal relégué au « bas de page », méprisé de la « grande littérature » mais très prisé des lecteurs. Il peut s’y jouer des contraintes, comme le danseur s’y joue de la pesanteur. Il peut s’y égarer dans des discours labyrinthiques qui le rapprochent de Kafka ou de Benjamin, y exécuter, en dansant avec les mots, des enchaînements hardis et inattendus.

Toujours en mouvement, Walser a échappé à son époque ; toujours en mouvement, il séduit la nôtre : ce danseur ne vous lâche jamais, car jamais on n’arrive à le saisir.

Traduit de l'allemand par Colette Kowalski

Culture de la catastrophe. Les littératures suisses face aux cataclysmes: extrait

La catastrophe : un phénomène culturel

Les catastrophes sont dans tous les journaux. Aujourd’hui, la notion de catastrophe est omniprésente, dans une gradation arbitraire qui va du train manqué au tsunami dévastateur. C’est au cours des dernières décennies que la carrière de ce terme a pris un tel essor. Dès lors, ses origines ont pu tomber dans l’oubli : dans l’Antiquité grecque, la « catastrophe » désigne le renversement qui intervient au dernier acte d’un drame, voire d’une comédie[1]. Dès ses origines, le terme est donc culturellement codifié. À partir de ce contexte littéraire, il a été métaphoriquement appliqué, en allemand comme dans les autres langues européennes, aux événements au cours desquels tout un système s’effondre. Cette signification s’impose graduellement après le tremblement de terre de Lisbonne de 1755. En allemand, il acquiert une dimension encore plus large du fait que la notion parallèle de « désastre » n’a pas pu se maintenir, au contraire des langues romanes ou de l’anglais. Ce terme-là, à l’origine, attribue les accidents qu’il désigne à des constellations défavorables et leur donne ainsi un horizon d’interprétation fort différent.[2] Voltaire intitule son poème controversé à propos du tremblement de terre Poème sur le désastre de Lisbonne. La « catastrophe », en revanche, malgré toute l’étendue de son acception, reste liée à sa connotation littéraire, voire théâtrale : la « catastrophe » est un événement culturel. Il est révélateur qu’au XVIIIe siècle, le mot allemand Ereignis (événement) véhicule encore la signification de « ce qui se présente au regard ». Et ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, les « scénarios catastrophes » rappellent l’origine dramaturgique du terme. Car dans les catastrophes, le temps s’accélère comme au dernier acte d’un drame. Des innocents sont victimes de forces aveugles, les héros montent au créneau, les émotions sont chauffées à blanc, le spectateur est ébranlé, même s’il reste épargné par la catastrophe. Lorsque le rideau tombe, c’est avec peine que l’on reprend pied dans le quotidien, et ce que nous avons éprouvé comme acteur ou comme spectateur prend une valeur mémorielle singulière.

« Catastrophe » désigne donc un schéma culturel qui affecte la perception, la représentation et l’interprétation d’une rupture dans notre vécu historique. Pour cette raison, il est impossible de définir les catastrophes en dehors de leur situation historique et culturelle. Si les catastrophes sont des points sombres de l’histoire de l’humanité, c’est un effet de leur représentation et de leur interprétation. Au moins autant que des séquelles d’incendie, ces taches noires sont de l’encre d’imprimerie ; en tant que telles, elles déteignent sur notre perception de la nature et s’impriment dans notre mémoire. C’est à partir de là qu’une recherche en histoire culturelle et littéraire doit s’engager. Certes, ces dernières années, cette thématique a fait l’objet de nombreuses études menées par des historiens, des anthropologues, des ethnologues et des sociologues.[3] Ces travaux s’intéressent au premier chef à l’aspect matériel du phénomène, à ses causes, à son déroulement et à ses effets sur la société, dont les structures internes apparaissent alors au grand jour. Bien que ces études fassent également apparaître le caractère de construction culturelle des catastrophes, elles ne réfléchissent que rarement à leur propre implication dans cette acculturation des catastrophes. Pourtant, tout discours portant sur les catastrophes, même s’il s’efforce de les objectiver comme un phénomène d’apparence purement matérielle, contribue à les construire comme objet culturel.

 

[1] Olaf Brise / Timo Günther,  « Katastrophe. Terminologische Vergangenheit, Gegenwart und Zukunft », in : Archiv für Begriffgeschichte 51 (2009), pp. 155-195.

[2] Wolf R. Dombrowsky, Katastrophe und Katastrophenschutz. Eine soziologische Analyse, Wiesbaden, deutscher Universitäts-Verlag, 1989, p. 24 sq.

[3] Principaux ouvrages et recueils monographiques sur ce sujet: Susanna M. Hoffman / Anthony Oliver-Smith (éd.), Catastrophe & culture: the anthropology of disaster. Santa Fe, School of American Research Press 2002. – Michael Kempe / Dieter Groh / Franz Mauelshagen (éd.), Naturkatastrophen. Beiträge zu ihrer Deutung, Wahrnehmung und Darstellung in Text und Bild von der Antike bis ins 20. Jahrhundert. Tübingen, Narr 2003. – René Favier / Anne-Marie Granet-Abisset (éd.), Récits et représentations des catastrophes depuis l’Antiquité. Grenoble, CNRS-MSH-Alpes 2005. – François Walter / Bernardino Fantini / Pascal Delvaux (éd.), La Culture du risque (XVI-XXIe siècle). Genève, Presses d’histoire suisse 2006. – Gerrit Jasper Schenk / Jens Ivo Engels (éd.), Historical Disaster Research. Concepts, Methods and Case Studies / Historische Katastrophenforschung. Begriffe, Konzepte und Fallbeispiele. Köln 2007 (= Historische Sozialforschung 121, vol 32/3). – Jürgen Schläder / Regina Wohlfarth (éd.), AngstBilderSchauLust. Katastrophenerfahrungen in Kunst, Musik und Theater. Berlin, Henschel 2007. – Anne-Marie Mercier-Faivre / Chantal Thomas (éd.), L’Invention de la catastrophe au XVIIIe siècle: du châtiment divin au désastre naturel. Genève, Droz 2008. – Gerrit Jasper Schenk (éd.), Katastrophen. Vom Untergang Pompejis bis zum Klimawandel. Osterfildern, Jan Thorbecke 2009.